TED Global 2013 : le temps de repenser la démocratie.

La conférence TED Global a lieu chaque année en Europe depuis 2006. Entre le 11 et le 14 juin, ce sont près d'une centaine d'intervenants au total et huit cent participants qui ont eu l'occasion de "réfléchir à nouveau" à notre monde en crise. Les organisateurs ont choisi leur moto cette année : "Think Again". TED met en scène chaque année les idées les plus originales, parfois les plus radicales et l'audience vient y chercher cette singularité. Durant ces cinq jours le questionnement du modèle démocratique était en filigrane de nombreuses interventions, sur scène et dans les couloirs. Une fois n'est pas coutume, je retiens de cette semaine trois talks politiques qui invitent à repenser notre modèle démocratique. Le coup d'envoi est donné avec une introduction plutôt étonnante. Bruno Giussani directeur de TED Europe et le responsable de la programmation, a décidé de donner la parole à Georges Papandreou, l'ancien premier ministre grec. Le choix est cohérent compte tenu de la thématique de la conférence : repenser notre monde. En effet, quoi de plus logique que de commencer par un constat d'échec ! Si on laisse de coté la forme de l'intervention de Georges Papandreou, qui ressemblait plus à une excellente opération de communication qu'à une authentique prise de parole, le coeur de son discours est d'une actualité criante : la sortie de crise en Europe passera par plus de démocratie directe et une citoyenneté européenne. Certes, le "comment" reste encore une grande inconnue et une véritable lacune.

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Les jours qui ont suivi ont donné ont apporté un peu plus de matière au débat. Parmi les interventions les plus remarquées celle d'Eric X. Li a suscité de très nombreuses réactions contradictoires.

Né à Shanghai en 1968, au plus fort de la Révolution culturelle, ce journaliste a raconté comment il a grandi avec la doctrine communiste : "toutes les sociétés humaines se développent en progression linéaire, commençant avec la société primitive, se déplaçant à travers le capitalisme, le socialisme et enfin, le communisme. Tôt ou tard, l'humanité tout entière, sans distinction de religion ou de culture, atteind ce stade final de développement politique et social." Après la chute du mur de Berlin, le monde a changé du jour au lendemain et déçu par la religion manquée de sa jeunesse, Eric X Li s'est installé en Amérique. Dès lors il a commencé à percevoir un parallèle troublant entre le modèle démocratique de l'Ouest et la doctrine de sa jeunesse. Pour lui la narration est la même : "toutes les sociétés humaines, sans distinction de religion ou de langue, se développent dans la progression linéaire, progressant de sociétés traditionnelles où les groupes forment les unités de base des sociétés modernes dans lesquelles des individus atomisés sont des entités souveraines. Et ils veulent tous une chose : le vote. Avec le vote, ils produisent un gouvernement et vivent heureux pour toujours". 

Partant de ce constat il conclut sans une certaine dose de provocation que finalement le système chinois à parti unique actuel est une alternative intéressante au système démocratique ! Il concède que le pays est confronté à d'énormes défis (la pollution, la population, la sécurité alimentaire, la corruption…) et précise que son objectif n'est pas de condamner la démocratie mais de nous faire comprendre que le système chinois, bien que non exportable, reste un système alternatif qui fonctionne compte tenu du developpement accélèré de la Chine cette dernière décennie. En somme Éric X Li prouve qu'il existe bien des alternatives au modèle démocratique qui fonctionnent puisque le modèle chinois est en train de transformer le pays en première puissance mondiale.

Le propos est évidemment provocateur. Le mot "alternative" est certes une formidable invitation à repenser nos systèmes politiques. Pour autant le modèle chinois ne peut raisonnablement pas être pris pour exemple compte tenu des inégalités, des injustices et des atteintes aux libertés qu'il génère. C'est en tout cas, ce qui se disait dans les couloirs après cette intervention. À décharge, il faut souligner que l'Ouest connait très mal la Chine et certains dispositifs participatifs locaux qui, parait-il, serait un modèle de consultation populaire très répandu.

Benjamin Barber, politologue américain, professeur à l'université du Maryland a suivi Eric X. Li pour rééquilibrer le débat. Il a commencé son intervention en évoquant la mémoire des manifestants de la place Tian'anmen… et rappelé tout de même le triste constat qu'il partage avec son prédécesseur sur scène : "la démocratie est un modèle en danger". Nous cherchons des solutions à cette crise politique dans le système démocratique alors que nous sommes confrontés à des institutions conçues il y a 400 ans.

Benjamin Barber, comme plusieurs de ses pairs sur la scène de TED cette semaine, pense que la solution pourrait être dans un système à l'échelle locale qui investirait politiquement les citoyens de façon plus active. Ainsi il propose de changer de paradigme et de commencer à raisonner à l'échelle des villes et non plus des nations. Les zones urbaines sont le lieu où la civilisation et la culture sont nés, de plus la grande majorité de la population mondiale vit désormais dans les villes. Etant donné que les villes sont dirigées par des maires, Barber propose qu'il pourrait être temps pour les maires de gouverner le monde. Les maires sont pragmatiques. Leur métier est de faire avancer les choses au delà des idéologies. Les maires ont des niveaux de popularité que tout autre categorie d'homme politique. Aux États-Unis, seulement 18% des Américains approuvent le Congrès quand ce taux avoisinne 70% pour les maires. Les villes sont profondément multiculturelles, ouvertes, participatives et démocratiques alors que dans le fond nous vivons encore dans un système politique basé sur des frontières, des états, et des états qui refusent d'agir ensemble. Le monde réel est sans frontière : un monde de maladies sans frontières, de Médecins Sans Frontières, où l'économie et la technologie sont sans frontières, où l'éducation est sans frontières, où le terrorisme et la guerre sont sans frontières. C'est désormais notre monde réel. Barber conclue en appelant à la création d'un parlement mondial des maires et des citoyens.

TED est un excellent indicateur du monde qui vient et ce cru confirme bien que les crises économiques, écologiques et sociales sont en train de se transformer en une crise politique majeure. Face à cette situation les modèles participatifs, décentralisés et à l'échelle locale ont été plébiscités. Parallèlement la tentation du rejet démocratique au profit de systèmes autocratiques reste vive. À suivre...