Comment j’ai redécouvert la presse écrite (et mon iPad).

Voilà presque quinze ans que je consacre entre trente minutes et deux heures chaque jour à m’informer sur Internet. J’ai fait partie des premiers utilisateurs de toutes sortes d’outils en ligne pour cela. Des lecteurs RSS fin des années 90, des agrégateurs de contenus début 2000, des sites de curation en 2005 – 2006, des premiers réseaux sociaux entre 2005 et 2010. Cette année encore, mon compte Google Reader comprenait plus de 5000 sources d’information validées et classées au cours de ces longues années de veille.

Lorsque Google Reader a définitivement fermé en juillet dernier, je n’ai pas eu la présence d’esprit de sauvegarder ma base de données. Et du jour au lendemain mon rituel quotidien s’est vu radicalement chamboulé. J’ai cru pouvoir récupérer les sources les plus pertinentes, je m’y suis attelé mais le résultat a été vain. C’est là qu’a commencé une expérience très instructive. Après quelques semaines à tenter de ne m’informer qu’au travers des réseaux sociaux, je  me suis vite rabattu sur une stratégie beaucoup plus conservatrice : parier sur la presse écrite et diminuer drastiquement ma consommation de contenus émanant du web gratuit. Presque simultanément, j’ai déménagé et nous avons décidé avec ma femme de ne plus avoir de télévision chez nous. En résumé, en l’espace de quelques mois, j’ai bouleversé ma façon de m’informer et de me divertir : plus de télé, plus de flux RSS, beaucoup moins de réseaux sociaux, contre beaucoup plus de lectures. Etonnant de la part de quelqu’un qui pendant une demi douzaine d’années à contribuer à la transformation de plusieurs medias à l’ère du net, de la gratuité des contenus, de l’explosion des réseaux et de l’avènement des nouveaux écrans ? Et pourtant.

Voilà donc un peu moins de six mois que je consacre entre trente minutes et deux heures de mon temps chaque jour à lire la presse écrite. Certes je n’achète pas de journal papier, mais mon iPad est devenu un compagnon indispensable. Je me suis abonné à trois quotidiens (Libération, Le Figaro et Le Monde) deux hebdomadaires culturels (Télérama et Les Inrockuptibles), deux mensuels scientifiques (Sciences&Avenir et Wired) et je butine de façon totalement aléatoires quelques titres en fonction de mon temps et de mes envies (en vrac Time Magazine, The Guardian, Clés, Elle, La Recherche, Science & Vie, Le Point, L’Express, Le Nouvel Obs, Courrier International, Challenges et La Tribune). J’ai bien sur conservé quelques anciennes habitudes : faire une passe rapide sur Google News au réveil, écouter la radio le matin dans ma salle de bains, jeter un œil le midi sur la page d’accueil de Techmeme (l'agrégateur techno américain de référence), et passer quelques minutes sur Facebook quand j’en ai envie principalement en vadrouille sur mon mobile.

Chaque jour, j’ai construit une routine : le matin je commence par lire Libération. Je lis la une, les grands titres « news » en diagonale, puis je picore quelques articles d’opinion (que je neutralise quelques minutes plus tard en répétant la même méthode dans le Figaro), puis je prends le temps de plonger plus profondément dans les papiers d’analyses ou d’enquêtes quand par bonheur j’en découvre. La lecture de Libération me prend une quinzaine de minutes. Je passe alors à celle du Figaro qui dure un peu moins longtemps puisque j’économise un bon tiers de l’édition en sautant les « news » déjà lues. Vient alors le moment que je préfère : celui des suppléments. J’y découvre la plupart du temps de vraies pépites documentées et que je ne trouvais jamais sur le web auparavant. Le soir en rentrant je prends une demi heure pour parcourir Le Monde exactement comme je le fais le matin pour Libé et le Figaro. Puis vient la lecture exhaustive et délicieuse des hebdomadaires et mensuels. J’y consacre la plus grande part de mon temps de veille. C’est ainsi que j’ai littéralement redécouvert des livres, des albums de musique, des expositions, des documentaires, du cinéma aussi, bref autant de références culturelles que mon ancien processus de veille ne me permettait pas de voir.

Grace à l’usage d’un iPad je n’ai pas perdu mon habitude de partager sur les réseaux sociaux ma veille quotidienne. Chaque jour je publie sur Facebook et Twitter entre 3 et 5 contenus que je choisis parmi mes découvertes. Je le fais en retrouvant un lien sur le web ou en faisant une copie d’écran du journal que je lis - je sais que cette pratique n’est pas tout à fait légale puisque je « libère » sur le net des contenus la plupart du temps protégés, mais je suis convaincu que le bénéfice tiré par les medias en terme de publicité est bien plus important que ce « piratage » parcellaire.

L’iPad dont j’ai acheté les différentes versions au fur et à mesure qu’elles sont sorties sur le marché n’a jamais été aussi efficace à mes yeux que ces derniers mois. Le passage à la version mini a-t-il été un déclencheur ? Probablement. Mais le plus extraordinaire dans cette histoire est que ce changement de stratégie a renforcé  mon influence sur le net. En effet mon taux de reprise sur les réseaux sociaux a quadruplé ces derniers mois. Tout se passe comme si la singularité avait changé de territoire, comme si le net reconnaissait l’originalité, la rareté, hors du réseau... Argument qui ne se discute pas, le score Klout agrégeant l’influence de mes comptes Twitter et Facebook réunis a évolué de plus de 10 points depuis ce changement de stratégie.

Je suis convaincu que certains d’entre vous trouveront ce témoignage tout à fait banal. Je connais beaucoup de monde qui s’informe principalement par la presse écrite et qui utilise une démarche similaire à la mienne pour ce faire (sans forcément aller jusqu’à partager leur veille sur les réseaux sociaux). Mais pour un (quasi) natif d’internet, en tout cas quelqu’un qui a fait du net son outil de travail et de la transformation digitale son produit, c’est une véritable révolution ! D’autres diront un reniement. A l’aube de mes 40 ans, suis-je passé de l’autre coté de la frontière ? Dans le territoire des anciens, des réfractaires, osons le mot, des réacs ? Je ne le pense pas. Au contraire, je crois que les modes passent et que d’autres reviennent. Que mon exemple est une manifestation partielle d’un phénomène plus large, plus profond, plus durable. Que le net a tout nivelé par le bas, en oubliant que la valeur vient du travail de fond et que le contenu original passe par l’enquête, l’analyse et la recherche d’un temps plus long, enfin que le « payant » face au « gratuit », que l’exclusif et le premium face au buzz ont une encore une carte à jouer. A suivre…