Le futur en question(s)

Entre prophètes de l'Apocalypse et apôtres du solutionnisme technologique, le débat sur la prospective est accaparé par des experts qui nous servent peu ou prou les mêmes scénarios. Il est temps que les citoyens s'en emparent, en misant sur les capacités de l'espèce humaine pour le questionnement, le débat et l'imaginaire.

L'ampleur de la révolution technologique, sociale et environnementale que nous vivons était encore largement sous-estimée par le grand public il y a dix ans. Il aura fallu ce délai pour que ces thèmes contaminent les médias de masse, les discours politiques, les conversations mondaines. A tel point qu'aujourd'hui une pensée unique du futur s'impose, alimentée par les mêmes réponses ordinaires et prémâchées.

A l'heure où nous sommes pressés d'inventer un nouveau monde, nous avons pris l'habitude de déléguer ces questionnements, ces débats et les décisions qui en découlent aux experts. Ces derniers, sur tout le spectre, des singularistes aux collapsologues, ont fait de l'exercice de prospective une banalité accablante, assénant leurs visions telles des vérités, nous servant systématiquement les mêmes scénarios, inlassablement répétés et amplifiés.

Pour répondre à leurs discours, il me semble urgent de raviver notre goût pour le questionnement, le débat et l'imaginaire. Le questionnement est une constante anthropologique. Un processus fondamental dans notre compréhension du monde et notre capacité à agir, une des caractéristiques qui nous définit comme supérieurement intelligents par rapport aux autres espèces.

Entre deux et cinq ans, un enfant pose en moyenne 40.000 questions. Cette faculté disparaît au cours préparatoire, quand l'école met l'accent sur les connaissances. En entrant dans la vie active, nous avons perdu depuis longtemps l'habitude de remettre notre monde en question. Or chacun devrait pouvoir s'en emparer et ne plus déléguer ces priorités aux experts.

Isaac Asimov disait de la science-fiction qu'elle était la branche de la littérature qui se soucie des réponses de l'être humain aux progrès de la science et de la technologie. Nous pouvons tous redevenir cet enfant plein de questions et nous muer en auteurs de SF.

Notre compréhension du monde qui vient et la construction de notre futur commun doivent se nourrir de la contribution de tous pour tous. Nous devons engager sur ces sujets de multiples débats, à l'échelle du foyer, du quartier, avec nos proches, nos amis, nos collègues. C'est seulement par cette maïeutique, cette exploration, ce doute incessant que nous pourrons réveiller notre imaginaire collectif et devenir acteurs du monde qui se construit.

Publié dans les Echos le 18 juin 2019