Vieillir... Vraiment ?

Forever young

En 1974, Bob Dylan chantait pour la première fois Forever Young, un tube planétaire qui a été repris et parfois plagié par de nombreux artistes. Les paroles de la chanson disent Puisse tellement être toujours occupée, puissent tes pieds être toujours alerte. Puisse ton cœur toujours être joyeux. Puisses-tu rester jeune pour toujours faire rêver. Tout l'enjeu du grand âge, expression consacrée aujourd'hui pour parler de la vieillesse, est parfaitement résumé dans ces mots.

L'enjeu du vieillissement consiste paradoxalement à rester jeune le plus longtemps possible, c’est-à-dire à demeurer en bonne santé sur tous les plans le plan physique, le plan psychologique, le plan affectif, le plan économique, le plan social. La bonne nouvelle est que d'ici 2040, les experts pensent que de nombreuses maladies pourraient être retardées, voire entièrement éliminées. Grâce aux avancées de la médecine Alzheimer, le cancer et le diabète pourraient rejoindre la polio parmi les maladies disparues dans le futur, la façon dont les gens vieilliront pourrait être très différente de celle d'aujourd'hui. Une des premières évolutions que ce changement de paradigme pourrait provoquer et la redéfinition des concepts de travail et de retraite.

Il est probable que d'ici 2040, nous n'utilisons plus le mot retraite. La façon dont nous pensons nos vies, l'école, le travail, la période de retraite aura probablement largement été transformée. Nous bénéficierons certainement de talents de plus en plus âgés, expérimentés et compétents sur le marché du travail. Nous apprendrons à tout âge. Les seniors rejoindront possiblement les rangs des nombreux slashers freelances travailleurs indépendants. Il y a déjà plus de dix ans, le designer Stefan Sagmeister donnait un TED talk visionnaire sur la manière dont il envisageait la retraite dans le futur plutôt que de consacrer 20 ou 30 ans de sa vie à ne plus travailler. Il a décidé tous les sept ans de fermer son studio de design pour vivre une année sabbatique. Cette retraite, échelonnée tout au long de la vie, lui permet de prendre le temps de profiter de son existence tant qu'il est en bonne santé et accessoirement, de se rafraîchir les idées pour mieux revenir travailler.

Évidemment, tout le monde ne peut pas se permettre ce luxe, mais cela ne devrait pas nous interdire de remettre en question le modèle actuel. Au regard notamment de l'augmentation de l'espérance de vie en bonne santé grâce à la médecine.

Les signaux

Aujourd'hui déjà, il existe des solutions proposant les services de retraités leur permettant de conserver une activité économique et sociale, cette activité étant clef à leur bien-être physique, psychologique et affectif. C'est le cas par exemple des Talents d'Alphonse. Créée par deux entrepreneurs français, cette startup part du constat que lorsque l'on est retraité, on se sent mis à l'écart de la société parce qu’inutile au corps social. Chez Alphonse, il pense tout le contraire. Il pense que la retraite est le moment parfait pour dessiner de nouveaux projets et vivre de nouvelles expériences. Ils mettent en relation des retraités et des entrepreneurs pour construire des projets communs. C'est le cas également aux USA de la communauté encore.org qui rassemble jeunes et retraités, mais cette fois autour de projets d'intérêt général.

Si certains d'entre nous auront la force de continuer à travailler de plus en plus vieux, certains malheureusement auront peut-être moins l'envie ou la capacité de conserver une activité. Ou vivrons-nous ? Que ferons-nous de nos journées ? Les experts s'accordent sur le fait que la maison de demain sera le cœur des dispositifs de santé au quotidien. Les maisons intelligentes, les objets connectés, les bio capteurs, les systèmes de télésurveillance permettront de créer une alternative chez soi au placement en maison de soins.

Cela passe par exemple par l'établissement de partenariats avec des acteurs de la smart home médicalisée. Ce secteur rassemble des compétences dans l'Internet des objets, de la data, de la robotique et de l'IA au service de la santé. Certains innovateurs radicaux anticipent déjà une révolution robotique dédiée aux services à la personne. Tesla, par exemple, par la voix de Musk, a annoncé le lancement de son Human Bot, un robot humanoïde dont un premier prototype est attendu pour septembre 2022. Est-ce que cette énième promesse de l'entrepreneur sera tenue ?

On verra bien. Mais dans certaines cultures, la robotique est un immense enjeu pour accompagner les personnes dépendantes. Par exemple, au Japon, on estime qu'il manquera à l'horizon 2025 plus de 380 000 emplois de soins pour faire face aux besoins des personnes âgées. Et la présence de robots dans les maisons de retraite est dès aujourd'hui en croissance. Il existe déjà aujourd'hui des robots aidants, par exemple la mobilité, ou permettant d'assister les soignants pour soulever les patients.

Aujourd'hui aussi, les géants de la technologie investissent massivement dans le domaine de la santé connectée, de la surveillance ou du diagnostic. C'est ce qui fait d'Amazon ou d'Apple des entreprises leaders de la santé de demain. Le secteur de l'immobilier aura également à s'adapter à cette nouvelle donne en proposant des nouveaux produits et nouveaux services qui répondront à la population vieillissante, de plus en plus demandeuse d'autonomie. C'est un secteur qui devra créer de nouveaux types de lieux.

C'est ce que font des acteurs émergeant comme Jeanettte en France, qui propose des offres de co living, alternative aux maisons de retraite traditionnelles. Ce sont des communautés de personnes qui vivent dans des habitations meublées, constituées à la fois d'espaces privatifs et des espaces partagés, et qui bénéficient de divers services mutualisés le wifi, le ménage, le parking, la bibliothèque, les abonnements à des cours, des contenus, les infrastructures de bien être, une salle de sport, un spa, des services de transport et parfois même une conciergerie pour gérer les réceptions de livraison ou récupérer les vêtements du pressing.

Les codes de ces maisons, de ces services de coliving trouvent plus leur inspiration dans l'hôtellerie que dans l'hôpital. Parmi ces communautés, il y a la plateforme Élément prix Elfe, qui met en relation des personnes âgées autour de leurs passions en fonction de leurs intérêts et crée des solutions pour améliorer l'activité physique, sociale et mentale des adultes de 50 ans et plus. Phénomène nouveau également, les applications de rencontres pour les personnes âgées.

Ces applications sont en plein essor aujourd'hui. Aujourd'hui, un tiers des utilisateurs des applications de rencontres en ligne traditionnelles aux Etats-Unis ont plus de 50 ans. D'autant qu'avec l'âge, les besoins de socialisation et de relation affective vont augmenter. Dans ce domaine, les données sont claires. L'isolement relationnel a doublé en seulement dix ans en France, et cela même avant la crise sanitaire. Autre élément l'isolement est directement corrélé à la santé mentale.

 De la solitude

Une étude canadienne montre que plus les personnes sont seules, moins leur santé mentale est bonne. Quel est le lien de causalité ? Probablement que les deux phénomènes s'alimentent l'un l'autre. Une étude menée par l'association Les Petits Frères des pauvres a montré qu'en 2021, 530 000 personnes en France étaient en situation de mort sociale. Et c'est une augmentation de 77 % en seulement quatre ans. Et le nombre de personnes isolées des cercles amicaux et des cercles familiaux était en croissance de 122 % en seulement quatre ans.

Aujourd'hui, 36 % des personnes âgées ont un sentiment de solitude. L'enjeu majeur de l'accompagnement du grand âge d'ici 2040 sera social, psychologique et affectif. En effet, le déclin cognitif et physiologique devrait être de moins en moins important à mesure que le progrès médical se démocratise. En revanche, demain, la détresse sera d'abord psychologique et sociale. Elle nécessitera un accompagnement humain d'un tout autre ordre que l'accompagnement médical que nous connaissons.

Le problème majeur ? Dans la plupart des cultures occidentales, est que la vieillesse est considérée comme une tare. Au début du XXᵉ siècle encore, de nombreuses personnes vivaient dans leur ferme et les personnes âgées étaient les véritables propriétaires des biens. Rester les maîtres incontestés de la famille, et ce, jusqu'à leur mort. Elles pouvaient être physiquement affaiblies et même perdre un peu la tête. On ne les mettait ni à l'hôpital ni à l'asile.

Aujourd'hui, l'adjectif vieux est en général associé à des termes péjoratifs. Et notre rapport à la mort est tel que nous avons tendance à la refouler, à la refuser. À refuser de se confronter ou à vivre avec. Aujourd'hui, au mieux, nous déléguons aux maisons de retraite ce que nous ne souhaitons plus gérer et au pire, la solitude et la mort sociale sont les conséquences que vivent nos aînés. La bonne nouvelle est que, grâce notamment à la médecine et aux technologies, nous allons être de moins en moins dépendants et de plus en plus connectés.

“Aujourd'hui, au mieux, nous déléguons aux maisons de retraite ce que nous ne souhaitons plus gérer et au pire, la solitude et la mort sociale sont les conséquences que vivent nos aînés.”

Et nous allons bénéficier aussi de plus en plus de solutions innovantes au fur et à mesure que cette population grandit et elle va grandir. Cette population, en effet, les générations qui suivent les baby-boomers sont nombreuses et vivront probablement encore plus longtemps. En 2016, aux États-Unis, il y avait 74 millions de baby boomers et 71 millions de millenials. On s'attend à ce que les millennials soient plus nombreux que les baby boomers, et ce, sans compter les générations d'immigrants qui viennent grossir leurs rangs.

De plus, les recherches sur la prolongation de l'espérance de vie sont financées à grands flots de milliards depuis déjà quelques années. Parmi les plus gros investisseurs dans ce domaine, on retrouve les géants du numérique américains et chinois. Il expérimente de nouveaux traitements contre le vieillissement. Encore en phase de test et sans preuve d'efficacité chez l'être humain. Ils ont l'espoir de trouver cet élixir de jouvence qui nous permettra de prolonger notre espérance de vie au-delà de 100 ans, peut être même 120 ans à la fin du siècle.

Les chercheurs sont confiants sur les possibilités de ces traitements à l'horizon de 2040. Au point que Google a investi plusieurs milliards de dollars dans sa filiale Calico, dédiée à l'augmentation de l'espérance de vie en 2040. Nous arriverons peut-être au début d'une ère ou il n'y aura plus de seniors. Comment résoudront nous alors la grande crise démographique qui se profile? La démographie mondiale déclinera-t-elle à force de politique de natalité, de crise sanitaire ou de crise climatique?

Stabiliserons-nous le nombre d'humains sur terre autour de 10 milliards d’individus ? Ou, au contraire, la population mondiale continuera-t-elle de croître et pousser les frontières au-delà de notre planète ? Quoi qu'il en soit, il est fort probable, comme le prédisait Bob Dylan dans Forever Young, qu'avec l'âge, nos mains restent toujours occupées et nos pieds toujours alertes. Cependant, nos cœurs, pour rester joyeux et jeunes, devront parvenir à vaincre notre solitude. Et ça, c'est une autre histoire.

Ce texte est la transcription de l’épisode “Comment allez-vous vieillir ?” de TRENDSPOTTING