Metavers : où en sommes-nous ?

Ceci est la retranscription de l’épisode “Metavers : où en sommes-nous ?” de TRENDSPOTTING.

Pour remettre le metavers dans son contexte, je rappelle que Facebook est en pleine tourmente. Les restrictions d’Apple ont eu un impact négatif sur les revenus publicitaires. L’entreprise ne peut plus collecter certaines données des utilisateurs de l'iPhone. Face à TikTok, la concurrence est extrêmement rude.

Et l’image de Facebook est particulièrement ternie par les scandales de manipulation de données et de désinformation. En 2021, Meta a dépensé 10mds pour construire ce metaverse. D’ici 2030 les analystes prévoient que l’entreprise aura investi plus de 70Mds…

Enfin, Zuckerberg et son équipe ont du mal à délivrer le metavers promis malgré un investissement conséquent de deux à trois milliards de dollars par trimestre.

Nous sommes au tout début de cette aventure et la conférence Connect qui a eu lieu le 13 octobre dernier était un moment important. Un peu plus d’un an et demi après l’annonce de la nouvelle stratégie metavers, les investissements colossaux et le chute du cours de bourse, c’était le moment de rassurer les marchés.

Je vous propose de revenir sur les annonces et de nous appuyer sur ces éléments pour nous projeter et essayer d’analyser comment ce marché pourrait évoluer dans les mois et années qui viennent.

Les annonces de Facebook / Meta.

 

La première annonce que l’on retient est la nouvelle version pro du casque de réalité virtuelle Meta Quest Pro. C’est une version améliorée du Quest 2, avec 50% de performances en plus.  Il possède 10 capteurs, dont 5 pour le visage, pour reproduire les expressions. Les caméras ont 4 fois plus de pixels et un capteur de profondeur est inclus pour comprendre la géographie d'une pièce et y ancrer des éléments virtuels. Le son des haut-parleurs intégrés a aussi été amélioré. Enfin, la fonctionnalité de passthrough en couleur permet de mieux voir l'environnement réel, ce qui laisse présager des fonctionnalités de réalité augmentées dans le futur. Son tarif, prohibitif pour le grand public atteint des sommets : 1799 euros. Le plaçant plus comme un concurrent du PC ou du mobile plutôt que des accessoires traditionnels.

Les applications accessibles avec les dispositifs virtuels de Facebook sont avant tout des jeux.

À noter, une application de DJ collaborative (TribeXR), de peinture sur toile virtuelle (Painting VR) ou de design 3D (Figmin XR). A noter aussi une app de cartographie ludique Wooorld.

Zuckerberg a insisté sur l’utilisation des outils de design 3D par certains acteurs professionnels. Il a cité Novartis pour le design de molécules et Puma ou New Balance pour la création de modèles de sneakers.

À ce stade, on sent bien que les exemples ressemblent plus à des prototypes qu’à de vrais cas d’usage industriels. 

Dans le domaine du sport on peut retrouver des simulations de différents spots comme le basket avec Jump Shot. 

Le travail en mode metavers est une des grandes ambitions de Facebook. Horizon Workrooms, espace virtuel de collaboration pro reste encore très expérimental. Malgré cela l’enjeu est majeur et Zuckerberg a annoncé des partenariats importants avec Microsoft et Zoom pour intégrer sa technologie aux systèmes existants de visioconférence. Les espaces de coopérations virtuels de ces outils (les breakout rooms) seraient à termes accessibles en 3D dans le metavers.

D’où l’importance enfin du réalisme des avatars et de leur sécurisation. C’est un des points sur lequel Facebook a été raillé par le passé et qui fait l’objet d’une attention toute particulière. Il est fondamental d’ancrer dans les esprits du grand public et des investisseurs que ce metavers est un projet réaliste et utilisable dans des conditions optimale. C’est pourquoi la démonstration de la technologie de création d’avatars hyperréaliste était particulièrement impressionnante. Un visage peut être digitalisé en 3D et reproduire expression et flot de parole à partir d’un smartphone. Cette technologie reste limitée aux labos de Facebook mais pourrait être généralisée dès que la puissance de calcul le permettra.

La pérennité de Meta suspendue à sa capacité de convaincre.

On comprend bien que la pérennité de Meta est suspendue à sa capacité de convaincre que le metavers est un projet réaliste et au potentiel vertigineux.

Au-delà d’être une simple plateforme informatique, Meta doit prouver qu’elle construit une réplique du monde réel ou les interactions sociales, la monnaie, le commerce, l'économie et la propriété, sont réinventés. C’est un marché potentiel de 800 milliards de dollars d'ici 2024et plusieurs milliers de milliards à l’horizon 2030. L’ambition est de créer une économie et de la valeur en s’appuyant sur un écosystème pour l’instant embryonnaire. Facebook doit faire émerger une économie de créateurs capables de produire des actifs ou des expériences numériques nouvelles. Mais aussi des développeurs et des designers de produits dérivés autour de son univers. C’est un univers nouveau, numérique (avec des apps, des outils de développement, des assets numériques) mais également physique (ou on pourra acheter et vendre des dispositifs d’accès et des interfaces nouvelles).

Sur ce dernier point, les avancées en matière d’interface cerveau machine permettront de naviguer dans le metavers sans action physique mais simplement par la pensée.

Les avancées en IA sont un point clés clé de l’évolution des metavers. En effet, L'IA générative est déjà capable de générer des univers virtuels en temps réel. Elle est en passe de le faire en fonction des interactions avec les utilisateurs. Les utilisateurs pourront ainsi personnaliser leur univers virtuel en fonction de leurs goûts et de leur personnalité, de leur évolution dans le metavers. Couplé au neuro interfaces. On peut aisément imaginer que le metavers s'adaptera de manière très fine aux utilisateurs pour leur offrir une expérience ultra-personnalisée. CE qui pose une question fondamentale, celle de la création de réalités individuelles déconnectées les unes des autres… On va y revenir.

La plupart des metavers permettent aux consommateurs d’acquérir des assets de protéger leurs actifs virtuels en leur donnant une preuve numérique de propriété. Cela peut être des parcelles de terrains virtuels, des objets virtuels, des œuvres d’art. Ce sont des embryons d’actifs numériques qui forment l’infrastructure de l’économie du metavers.

Ouverture et décentralisation

Deux visions s’opposent en matière de gouvernance et d’ouverture de ces univers. On peut imaginer qu’un metavers soit détenu et gouverné par une entité unique, privée ou publique et que le système soit limité aux dispositifs appartenant à cette entité. C’est une vision centralisée et fermée du metavers. On peut aussi avoir une ouverte et décentralisée. Dans cette dernière approche, il n’y a pas d'autorité unique qui régit le metavers. La gouvernance est basée sur l’usage d’une blockchain par exemple. Des modèles hybrides émergent sur le marché. Plus ou moins ouverts, plus ou moins décentralisés. Certains metavers sont organisés en DAO (Organisation, décentralisées et autonomes.) C’est une gouvernance décentralisée - comme un conseil ou un comité - qui utilise la blockchain et les contrats intelligents gouverner le métavers.

Decentraland est un metavers organisée en DAO. C’est un environnement social virtuel basé sur la blockchain. Il est utilisé pour construire, échanger, gagner de l'argent et explorer des mondes virtuels.  

The Sandbox également, c'est un monde virtuel en 3D hébergé sur Ethereum où les gens peuvent interagir, construire des choses et gagner de l'argent.  

C’est aussi le cas de Bloktopia. C’est structure virtuelle de 21 étages représentant les 21 millions de bitcoins sur le marché.

Au-delà de cette dimension encore très expérimentale de l’économie virtuelle des metavers, comment les entreprises peuvent-elles bénéficier de ces nouveaux univers pour créer de la valeur ?

Les business du metavers aujourd’hui

On vit un moment équivalent à celui d’internet dans la fin des années 90. À l’époque le business porté par le réseau était avant tout publicitaire. Pour les entreprises c’était un moyen de se faire connaître, un outil vitrine, voire expérientiel.

Meta n’est évidemment pas le seul acteur à préparer ce nouvel espace économique, social voire politique.

Des marques comme Nvidia, Roblox, Sony, une myriade de startups américaines, européennes,coréennes, investissent dans la fabrication de ce nouvel espace.

 Tencent est actionnaire à 40% dans epic games EDITEUR de Fortnite.

Alibaba a investi 800M dans Magic Leap

Baudu a investi dans une nouvelle gamme de casques Qiyu clones du qu’est

Google Glass a été précurseur en 2012. Cela a abouti à un échec. La communication de Google reste très discrète sur le sujet du metavers. On peut citer un projet intéressant qui pourrait donner un aperçu de ce à quoi le metavers de Google pourrait ressembler.  Il s’agit du projet Starline qui est une solution de visio conférence holographique. Pour l’instant limité aux labs de Google, la firme va commencer à déployer la solution chez certains partenaires.

De même la branche jeu vidéo de Google – Google Stadia – avait pour ambition de sortir un casque VR mais il a été annoncé que la filiale fermait ses activités en 2022.

Cela reste encore flou coté Google. Même si c’est un potentiel prédateur pour des projets comme HTC, Varjo, Lynx, Magic Leap.

Du côté d’Apple, Tim Cook a clairement indiqué qu’il n’était pas convaincu par le métavers de Facebook

En revanche bien décidé à investir l’univers de la réalité augmentée. Cela devrait aboutir à un produit en 2023. Plusieurs analystes ont prédit que le casque de VR arriverait en 2023, et que les lunettes suivraient en 2024 ou 2025. 

Apple est en train de concevoir un App Store pour le casque, et le contenu sera axé sur les jeux, le streaming vidéo et la vidéoconférence. Il fonctionnera sous "rOS", pour Reality OS un nouveau système d'exploitation conçu spécifiquement pour ce nouvel espace.

Ces écosystèmes vont créer des opportunités nouvelles pour les entreprises.

Aujourd’hui, dans le métavers, les entreprises offrent à leurs clients (encore peu présent sur ces univers) des d'expériences immersives. Elles créent des jeux, des objets virtuels, des expositions, des expériences marketing pour attirer l’attention. Toutes les innovations technologiques ont débuté leur adoption comme cela. Le metavers est en quelque sorte un nouvel espace publicitaire. Grâce à l’immersion, on passe d’un storytelling à un story LIVING de marque.

Les actifs numériques dans les univers virtuels représentent une part de cette économie naissante on l’a évoqué, mais la sécurisation de ces actifs tout comme celle des identités (les avatars, les portefeuilles, les objets) est une fonction fondamentale. Les acteurs de cette sécurisation ont un potentiel de croissance extraordinaire.

Tout comme ceux qui auront pour charge de digitaliser les objets, les systèmes et les processus dans ce. Nouveau monde. On a déjà vécu cette histoire dans la transition entre le monde physique et le web lors des deux dernières décennies.

Et Demain...

Si la vision de Meta se réalise les organisations sont appelées à changer radicalement au cours des deux prochaines décennies. Nous entrerons dans un monde où les frontières entre les environnements physiques et numériques vont s’estomper. Chaque actif, chaque processus, chaque personne au sein d'une entreprise sera reproduite virtuellement et connecté.

Par conséquent, presque tous les aspects du travail pourront se dérouler sous forme numérique. Les expériences immersives, permettront aux travailleurs d'acquérir une expérience et une formation réelles en manipulant des objets numériques en 3D. Les simulations et les technologies d'IA utiliseront les flux de données provenant des entreprises pour aider à anticiper les phénomènes au sein ou autour de l’organisation avec une précision extrême.  Cette approche est une version beaucoup plus sérieuse, moins ludique, plus révolutionnaire du metavers que celle des jeux 3D qui nous sont présentés dans les medias.

Le métavers d'entreprise est un système alimenté par une multitude de jumeaux numériques interconnectés qui reproduisent tout. Cela peut être des actifs physiques (comme les produits et les immeubles de bureaux), les personnes (les clients et les employés), en passant par les processus commerciaux, marketing, RH, de production ou de vente…

Les entreprises commencent dès aujourd’hui à construire des jumeaux numériques. Dans le monde des télécommunications, de la santé, de l’industrie c’est une réalité. D’après Mc Kinsey, les jumeaux numériques réduisent aujourd’hui les coûts d'exploitation de 10 % ! Ils permettent d'optimiser les processus, d'identifier les points de défaillance et de lancer automatiquement des interventions de maintenance.

Au cours des dix prochaines années, IA et metavers constitueront les briques fondamentales de l’entreprise dans tous les secteurs.

 

Après-demain.

Dans The Age of Em, Robin Hanson dessine l’émergence d’une société où l’interaction entre émulations complètent puis remplacent progressivement les interactions humaines. Un Em pour Robin Hanson, est la modélisation d'un cerveau humain particulier, une sorte de jumeaux numérique cérébrale. Cette numérisation enregistre les caractéristiques et les connexions des cellules et constitue la construction d'un modèle informatique. Pour Hanson, Un Em suffisamment performant présente un comportement global des signaux d'entrée-sortie proche de celui de l'humain original. Attaché à des yeux, des oreilles, des mains artificielles, on peut lui parler et le convaincre d'effectuer des tâches utiles. Il devient la force de travail, de création de valeur, de l’humanité qui vient.

Entre roman de science-fiction et essai philosophique, ce livre pour moi est un monument du début du XXIe siècle. Je vous invite à le lire.

Le metavers, version balbutiante de ce monde d’émulation est en train de naître sous nos yeux. C’est fascinant et effrayant à la fois. C’est potentiellement un changement anthropologique profond. Tout change : le rapport au temps, à l’espace, à l’intime au public. Tout bouge la façon de travailler, de vivre… Couplé à l’IA de créer, de décider…

Notre société, notre économie autant que nos vies seront bouleversées. Avec des conséquences fabuleuses et catastrophiques à la fois. Nous allons vivre une dématérialisation de nos existences, de nos relations, de nos intelligences pose des questions fondamentales. Le premier enjeu, vital sera celui de la sécurité de ces systèmes. La question des équilibres, du partage des richesses mais tout simplement le partage d’une vision commune de la réalité. Chacun pourra vivre dans une réalité propre, a tel point qu’on peut s’interroger sur la pérennité de ce qui constitue le réel, comme fondement universel de notre existence.