Pour que nos entreprises aient une mission de transformation globale

Depuis près de 20 ans, la fondation Gates mobilise les philanthropes au service de grandes causes. BlackRock, le principal gestionnaire d'actifs au monde soutient désormais en priorité les investissements destinés à avoir un impact positif sur la société et agir pour le bien commun. Les initiatives entrepreneuriales comme XPrize dépensent des milliards de dollars au service de la résolution des grands défis qui nous font face. Bref, le secteur privé a pris le relais de la puissance publique pour répondre aux enjeux de société. En France le mouvement est aussi massif: le fonds d'investissement Raise consacre 50% de ses bénéfices à l'intérêt général. La fondation philanthropique Epic, créée par le français Alexandre Mars, somme les entreprises de transformer 1% de leur bénéfice en don. Les initiatives FranceForGood, FEST ou FrenchImpact, chacune à sa manière, font la promotion de cette idée: l'entreprise est un acteur social qui doit œuvrer pour le bien commun et générer un impact positif sur le monde. Le Rapport Notat-Senard rendu la semaine passée au gouvernement tente de faire rattraper à la France son retard en la matière. Si le législateur donne demain l'obligation à l'entreprise de s'interroger sur son rôle de transformation globale il lui permettra d'être plus compétitive et mieux armée pour croître dans le nouveau monde dans lequel nous sommes entrés. Après tout les GAFAs ont toutes cette dimension dans leur ADN. Elles sont toutes animées par une mission de transformation globale, ce qui ne fait pourtant pas d'elles des associations à but non lucratif!

Notre époque est celle de l'autonomisation, de l'émancipation et du bien commun. Elle correspond à l'aboutissement de 50 ans d'expérimentations, de fourvoiements dogmatiques, d'achèvements des idéologies collectivistes meurtrières et de délitements lents d'un capitalisme individualiste et destructeur. Contrairement à ce que l'on veut croire, ce début de siècle aura donc été d'une productivité idéologique et technologique sans pareil dans notre Histoire. Nous sommes entrés dans une phase décisive. La prise de conscience est claire, les énergies sont là, les moyens d'action sont de plus en plus partagés.

Il reste à présent à nous entendre sur le but à atteindre: le bien commun! Comme le disait Camus, "Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde. S'efforcer au langage clair c'est ne pas épaissir le mensonge universel". Comment donc définir le bien commun? L'ONU a déjà largement travaillé sur le sujet. Elle a défini les 17 objectifs de développement durable pour 2030: l'éradication de la pauvreté, l'élimination de la faim, le développement de solutions pour une meilleure santé, pour l'éducation, pour l'égalité, pour l'accès à l'eau, pour le déploiement des énergies renouvelables, pour la croissance et le travail, pour les infrastructures durables, pour la réduction des inégalités, pour le développement d'habitat ouverts et résilients, pour la production et la consommation responsable, contre le changement climatique, pour la conservation et l'exploitation raisonnée des océans et mers, pour la lutte contre la désertification, pour la promotion de sociétés justes et ouvertes et pour les coopérations internationales.

Mais plus encore, comment mesurer l'impact de chacun au service de ces grands défis? Encore une fois il nous faut identifier clairement les outils et les méthodes pour y parvenir. Les travaux d'Esther Duflot rappellent par exemple l'importance de l'expérience terrain et de la démarche scientifique pour comprendre les problématiques et l'influence des expérimentations sur la réalité. Les essais randomisés, la comparaison entre groupes témoins et groupes d'expériences, classiques en médecine, sont encore trop peu utilisés en économie. C'est exactement la démarche qu'adopte la fondation Gates pour mesurer l'impact de ses projets sur le terrain et que chaque organisation devrait commencer à mettre en œuvre. Evidemment, à lire ces derniers mots, on imagine se lever, surgissant, grondant, comme des chats giflés, les défenseurs d'un monde libéral qui ne supporte pas cette idée d'une entreprise au service de l'intérêt général. Pourtant, c'est exactement cette approche qu'une entreprise comme SAP a adoptée en déployant, au cœur de ses produits, des outils d'analyse permettant à ses clients de mesurer leur impact sur le monde. En effet, ces derniers peuvent, grâce aux solutions SAP, identifier, analyser, mesurer, presque automatiquement, au cœur de leur chaine d'approvisionnement, leurs contributions aux 17 objectifs de développement durables définis par l'ONU...

Il y a tout juste 50 ans, presque jour pour jour, naissait mai 68. Le 22 mars, un rassemblement d'étudiants, avant tout libertaires, lançaient les actions qui initiaient la révolution sexuelle et les mouvements d'émancipation qui quelques années plus tard, aboutirent au droit de vote à 18 ans, au droit à l'avortement ou à la dépénalisation de l'homosexualité... 50 ans après les luttes salariales, la libération des corps et des esprits, l'époque semble nous rappeler qu'un nouveau chapitre s'ouvre. La nouvelle vague féministe et les débats sur la légalisation de la GPA ont pris le relais de la révolution sexuelle. La révolte salariale est remplacée par l'émergence de nouvelles formes d'organisations blockchainisées, autonomes, décentralisées et plus respectueuses de la distribution de la valeur créée. Marx semble coopérer avec Metcalfe, pour utiliser la puissance des réseaux afin que chacun puisse se réapproprier les outils de production et la richesse qui en découle. La chute des grandes idéologies collectivistes du XXème siècle et la mort lente du capitalisme centralisateur voient émerger des modèles transversaux pour un partage plus juste de la richesse du monde. Cette vision d'un monde où chacun, chacune, à l'échelle individuelle, ou collective, au cœur des organisations locales, régionales, nationales et internationales, privées ou publiques, agit à sa mesure pour le bien commun n'a rien de dogmatique. Elle est pragmatique. Elle est absolument nécessaire. Car, contrairement à ce que pensait Malraux, en réalité, le 21eme siècle, notre siècle, sera résilient ou ne sera pas.

 

Publié sur le HuffingtonPost : https://www.huffingtonpost.fr/michel-levyprovencal/agir-pour-le-bien-commun-voila-lobjectif-qui-devrait-guider-notre-societe-toute-entiere_a_23385262/