Transformation de la société : nous avons confondu chemin et destination

La nouvelle élite française, l’aristocratie du numérique est devenu aveugle. Ces dernières semaines, la fronde des Gilets Jaunes, a montré combien parfois le réel s’invite avec violence et bouscule nos imaginaires confortables. Certes, nos élites ont une vision claire de la révolution technologique à l’horizon 2030 - 2035, mais elle continue à confondre chemin et destination. Elle a compris qu’on ne peut pas ralentir la mutation, mais elle se refuse à en amortir l’impact pour les populations les plus démunies. L’urgence aujourd’hui est de repenser la trajectoire de cette transformation et de concentrer nos efforts pour lisser la courbe des inégalités. La première partie du quinquennat a été consacrée la création de valeur (via une politique d’offre). Aujourd’hui il faut entrer dans une deuxième phase, ouvrir un nouveau chapitre social et tenter de le faire différemment par rapport aux précédents mandats en alignant économie et impact positif.

D’abord, la question de l’automatisation, de l’usage de l’IA et de la robotique doit donner lieu à une refonte de la fiscalité. Certaines nations voient dans l’automatisation une solution à leurs problèmes. Les japonais par exemple ont une problématique inverse à la nôtre : 2% de chômage, une population vieillissante et un besoin de main d’œuvre en croissance. L’automatisation est une aubaine pour eux. En Europe d’ici 2035 nous avons le problème inverse. L’automatisation pèse sur l’emploi et la vitesse de la mutation nous empêche de former assez vite les actifs peu qualifiés. Nous devons donc créer un filet de sécurité pour ces populations. Nos entreprises européennes sont écrasées par les GAFA et BATX. Leur statut de monopole sur nos marchés et leur puissance empêchent nos startups et grands groupes de rivaliser. Ces entreprises defiscalisent à tout va et paient 5 fois moins d’impôts que nos entreprises européennes voire domestiques. En parallèle notre fiscalité ponctionne près de 50% du PIB et assomme les classes moyennes. Les états sont ruinés. Par conséquent l’Europe doit se protéger économiquement et instaurer des barrières douanières et une taxation des revenus des grands groupes qui fuient la fiscalité. L’Europe est l’échelle à laquelle on doit raisonner. Face à la Chine et un marché de 1,3 milliards de personnes, l’Inde 1,2 milliards, les États Unis 350 millions, seule l’Europe et ses 700 millions d’habitants est l’echelle à laquelle nous pouvons rivaliser. Nous devons créer un programme de coopération entre PME européennes pour leur donner les moyens d’adresser ce marché inexploité. Le débat pour les prochaines élections s’ouvre et nous avons une occasion unique de mettre cette question sur la table. Il nous faut vite alléger la fiscalité des classes moyennes en ponctionnant mieux les GAFA, BATX et toutes les grandes entreprises qui accaparent de la valeur par l’exploitation du capital et par l’automatisation sans créer de valeur sociale. Une taxe indexée sur le rapport CA / masse salariale, instaurer des barrières douanières et la mise en œuvre d’un Cloud Act européen pourraient commencer à nous protéger de la colonisation numérique.

Il nous faut prendre aussi conscience que des marchés entiers sont totalement inexploités faute de créativité, de prise de risque et d’investissement. Jamais les entreprises européennes n’ont eu autant de liquidités dans leurs caisses (6% du PIB européen). Nous devons déployer des programmes d’acculturation, de formation, de transmission des compétences pour aider ceux qui n’ont pas encore pris la vague numérique à entrer dans le XXIe siècle. En la matière l’état ne peut pas tout ! Mais il doit inciter les entreprises européennes à investir dans le numérique avec un souci du bien commun. Les grands groupes ont à la fois une responsabilité et une opportunité unique à conduction d’investir en masse (6% du pib européen en cash dans leurs caisses !!!). La transition énergétique est évidemment aussi une urgence et une opportunité. Elle ne peut pas en revanche être portée par les populations les plus pauvres. Nous devons la considérer comme un investissement pour les générations futures et sortir ses coûts du calcul du déficit (donc des 3%). Soyons créatifs, regardons plus loin que les habituels recettes qui ne marchent pas, bousculons nos habitudes. Et imaginons des programmes ambitieux ! Prenons un exemple : la gratuité des transports en commun ! Ce n’est pas une utopie. Demain une entreprise comme la RATP pourrait se transformer en plateforme de service en s’appuyant sur une ressource inexploitée : le pass Navigo. Cette carte pourrait devenir un nouveau moyen de paiement numérique comme c’est par exemple le cas au Japon. L’infrastructure des stations pourrait se transformer en plateforme commerciale intelligente à moindre coût. Les lignes pourraient être exploitées hors des horaires d’ouverture pour effectuer du transport de marchandises… Prenons le temps de faire travailler grands-groupes, services publics et PME pour imaginer et expérimenter ce type de Moonshots !

Les 20 prochaines années seront d’une importance majeure. Nous vivrons des turbulences, des révolutions, des crises encore plus radicales que celles vécues depuis 20 ans. Si nous n’innovons pas sur le plan social en concentrant nos efforts sur les populations les plus démunies nous risquons de troquer la révolution numérique contre la révolution tout court. C’est la responsabilité de notre génération.