Agir à l'ère de l'intensité


Il y a encore deux mois, personne n'aurait imaginé l'intensité et la gravité de la crise que traverse aujourd'hui la planète entière. Pour Michel Lévy-Provençal, les événements que nous traversons doivent être l'occasion de changer nos méthodes d'identification et de gestion des risques à grande échelle.


Publié dans les Echos le 30 mars 2020

Le 14 février dernier, le prospectiviste Jim Carroll publiait un article titré « The Era of Intensity ». Il prédisait que la prochaine crise économique surpasserait celle de 2008. Son analyse était simple : nos environnements politiques, économiques, sociaux, médiatiques ont radicalement changé en onze ans. Il rappelait, par exemple, qu'en 2008 Twitter n'était qu'un épiphénomène ; que Facebook était un terrain de jeu pour adolescents sans aucune incidence sur la diffusion de l'information ; que les « deepfakes » étaient un objet de science-fiction ; que nos leaders parvenaient encore à coopérer à l'échelle globale pour endiguer une crise ; que le repli économique, identitaire et que la polarisation du monde n'était pas ce qu'ils sont aujourd'hui ; enfin que nous avions encore un peu confiance dans nos institutions médiatiques et politiques. A l'époque, la vérité comptait encore…

Crash-tests civilisationnels

Entre la publication de cette analyse et aujourd'hui, l'épidémie de Covid-19 s'est transformée en pandémie et ce que Jim Carroll appelait l'émergence de l'ère de l'intensité est devenu une réalité palpable pour chacun d'entre nous. Nous vivons aujourd'hui l'intensité des crises sanitaire et économique, l'intensité de la pression sur nos systèmes de santé et sur nos modes de gouvernance, l'intensité aussi du stress à cause du confinement et des nouvelles quotidiennes de plus en plus accablantes, l'intensité enfin du repli sur soi simultanément à celle de notre interdépendance.


Parce que nous ne nous sommes pas suffisamment préparés à ces phénomènes intenses et brefs, plus que jamais, nous devons prendre conscience de l'absolue urgence d'élaborer des stratégies de crash-tests civilisationnels. Dans ces mêmes pages, en 2016, au début de la campagne présidentielle française, je soulignais l'importance de nous doter d'une stratégie pour « créer les conditions de notre résilience » en cas de crises extrêmes. Je citais les travaux du théoricien de la vitesse Paul Virilio (« L'Accident originel », 2005). A l'ère de l'intensité, nous ne pouvons plus attendre. Nos gouvernants doivent évidemment répondre à l'urgence mais simultanément investir dans la planification de scénarios afin d'identifier risques, opportunités et feuilles de route en cas de nouveaux événements exceptionnels.