Votre part de pieuvre

Dur dur d’être optimiste

Si certains doutaient encore de l’hyperinstabilité du monde contemporain, l’année 2020 devrait nous avoir convaincus. 

En 9 mois, nos économies ont accéléré leur mue numérique comme jamais. Tous secteurs confondus, la dématérialisation galope et le retour, tant espéré, à une vie sociale normale ne devrait pas ralentir le processus. 

Le marché du travail a engagé sa révolution. Le freelancing et le nomadisme numérique ont gagné du terrain comme rarement, non sans conséquence sur les plans économiques, sociaux, et environnementaux. Cela nous prépare à de longs et douloureux débats sur les futurs filets de sécurité sociaux, le revenu universel, les politiques souverainistes et les nouvelles taxes financières et carbone. 

Les confinements et la frustration qui en a résulté produisent des décompensations dont on ne perçoit que les prémices. Fêtes clandestines, rassemblements sauvages, manifestations spontanées devraient générer, à mesure que la vie sociale se normalise, encore plus d’autoritarisme et encore moins de sécurité.

Au cœur des villes les plus riches, les urbains usés dans leurs appartements étriqués, fatigués par les confinements, ont commencé à quitter leur « habitat » pour découvrir l’espace, le grand air… la chasse, les bruits et les odeurs de moteurs diesel, quads, tondeuses et tracteurs. L’impact de cette transhumance pandémique sur le marché immobilier commence à se faire sentir. La tension entre anciens et néoruraux aussi.

Les crises sanitaires et économiques se sont installées. Elles devraient logiquement se traduire par une crise financière. Comment autant de liquidités déversées dans l’économie et une forte croissance de la dette peuvent n’avoir aucune conséquence sur la valeur de l’argent ?

Logiquement la bourse devrait en souffrir, l’immobilier devenir un refuge et les cryptomonnaies subir des fluctuations très lucratives pour les spéculateurs. Qui sait, 2021 sera peut-être l’année où on verra la fin de la suprématie du dollar au profit du Bitcoin ou du Yuan numérique ?

La crise sociale couve depuis quelques années déjà mais elle a rarement atteint un stade aussi aiguë. La menace d’un « printemps mondial » est réelle sur fonds d’inégalités accrues, de regain de tensions entre empires passés et de nouveaux clivages rationnel vs émotionnel et proscience vs antiscience.

Trouver un sens

Arrêtons ici cette liste déprimante et imaginons un instant qu’au contraire, cette énième crise soit l’occasion d’un sursaut.

Et si elle offrait l’opportunité de cesser d’agir exclusivement selon nos intérêts individuels ?

Et si elle nous incitait à cesser aveuglément de déléguer toute exigence morale à un collectif de plus en plus impuissant (l’Etat) ? 

Et si on troquait la foule d’individus égoïstes contre une somme d’individus responsables à la recherche d’un sens à donner à leur existence ? 

Peu importe que nous soyons résignés à vivre heureux dans un environnement préservé, oubien révoltés partisans d’une croissance sans limite. 

Peu importe que nous soyons épicuriens convertis à la modération de l’écologie moderne ou atteints par l’hybris de la conquête de l’univers et d’une évolution biologique choisie.

Les mois qui viennent nous inviteront plus que jamais à préserver notre raison, à nous adapter aux changements permanents, à cultiver notre bonne volonté et à trouver un sens à notre existence individuelle au service de l’intérêt collectif. 

La pieuvre, ce modèle

Inutile de nous mentir, vous aussi vous n’avez pas réussi à utiliser le temps précieux des confinements pour lire cette pile de livres qui n’a cessé de grandir mois après mois ! En revanche votre temps de cerveau récupéré vous aura permis de faire le tour du catalogue Netflix...

Ne culpabilisons pas... Avez-vous vu ce documentaire étonnant sur la sagesse des pieuvres ? Trois cœurs, huit bras, neuf cerveaux, cinq cent millions de neurones - la souris plafonne à 200 millions. L’animal est capable d’une adaptabilité rare. Il peut vivre dans les eaux glacées des pôles ou les mers chaudes des tropiques. Il possède un génome comparable à celui des humains mais son adaptabilité génétique est unique : il peut éditer son ARN à grande vitesse pour survivre à environnement en perpétuelle évolution - ce que l’humain vient seulement d’apprendre à faire… Ces caractéristiques font de lui un modèle d’hyper-adaptation. Une machine extraordinaire, furtive, décentralisée, résiliante, capable d’apprendre à grande vitesse. En un mot il est l’archétype du héros contemporain. Enfin, on le croyait solitaire et pourtant on a découvert une espèce qui évolue en collectivité : des pieuvres capables d’une vie sociale !

Un vœu

Soyons donc réalistes, les mois qui viennent ne seront pas des plus heureux. Vous souhaiter santé, succès et prospérité aurait été d’une paresse affligeante, à la limite de l’irrespect. 

Je préfère vous souhaiter de prendre votre part de pieuvre, pour votre bien et celui de votre prochain.

L’année qui vient de s’écouler a été pour moi l’occasion d’une série de rencontres passionnantes avec de nombreuses personnalités venues d’horizons très différents. Avec du recul, tous étaient des modèles de pieuvres et de poulpes, tentant d’apprendre à désapprendre et à réapprendre, à s’adapter sans cesse à notre nouvel environnement, chacun le faisant à sa manière : artistes, économistes, scientifiques, philosophes, entrepreneurs, chercheurs... Je vous laisse donc avec une sélection de ces rencontres qui auront marqué cette période si particulière. 

Que 2021 vous fasse pousser quatre autres membres, huit nouveaux cerveaux, deux cœurs et préserve nos si fragiles neurones.

Voici la playlist qui vous apprendra :