La société de la protection

Notre excès de précaution peut conduire à l'immobilisme mais aussi à une forme de déni vis-à-vis du présent, écrit Michel Lévy-Provençal.

Publié dans les Echos le 15 juin 2021

Nous vivons dans une société des records. Jamais dans l'histoire, l'espérance de vie, le confort et la sécurité n'ont été si importants et jamais l'accès aux soins et à l'éducation, si aisés. Simultanément, c'est une conséquence logique, notre aversion aux risques n'a cessé d'augmenter et le principe de précaution a guidé nos gouvernants au point de devenir une boussole : garantir coûte que coûte contre tous les risques potentiels.

En 1956, Philip K. Dick écrivait « Minority Report ». Cinquante ans plus tard, Steven Spielberg en a fait le grand film de science-fiction que l'on connaît. Le scénario décrit un futur proche où les forces de l'ordre peuvent prédire les crimes et arrêter les criminels juste avant qu'ils ne commettent leurs méfaits.

Toute création interdite

L'évolution de la puissance technologique, notamment les capacités croissantes de calcul et de simulation, nous permettra bientôt de prédire avec une précision rare un grand nombre de phénomènes au point de se rapprocher de la vision de « Minority Report » dans de nombreux domaines comme l'environnement, l'économie, les transports, la santé…

Dix innovations à suivre pour affronter l'incertitude

Mais prenons garde : il demeure comme une évidence mathématique qu'une part d'incertitude se dérobera toujours à nos précautions. Quelle sera alors notre réponse ? Il ne faudrait pas que nous tentions de poursuivre cette quête perdue d'avance en oubliant de s'inquiéter de deux conséquences.

D'abord, la recherche de l'élimination totale du risque induit la répétition sans fin de ce que l'on sait déjà. Avec ce principe d'action, toute création nous serait alors interdite et mènerait à la paralysie.

Déni de l'évidence

Enfin, l'excès de prédiction, comme le rappelle Michele Wucker dans « The Gray Rhino », aboutit au déni de l'évidence. En effet, prenons le cas de la crise climatique : par précaution, nous essayons de changer nos comportements de consommation pour influer sur les émissions carbone avec pour ligne de mire le milieu du siècle. Cet excès de précaution nous amène à sous-estimer gravement l'importance des mesures de protection à court terme. Pour prendre un exemple simple, nous pourrions nous atteler à construire des digues plutôt que de nous concentrer seulement sur la baisse du niveau des mers !

Ces deux raisons devraient nous amener à faire évoluer notre société de la précaution vers celle de la protection.