Pourquoi les thérapies géniques modifient déjà notre espèce
En vingt ans seulement, nous allons avoir la possibilité de modifier notre génome en laboratoire: corriger les erreurs et augmenter nos capacités. Cette perspective a des conséquences politiques, économiques, éthiques que nous sous-estimons aujourd’hui.
En 1970, cinq ans après avoir reçu le prix Nobel de médecine, Jacques Monod écrivait dans Le Hasard et la Nécessité “l’échelle microscopique du génome interdit pour l’instant et sans doute à jamais des manipulations. Le seul moyen d’améliorer l’espèce humaine serait d’opérer une sélection délibérée et sévère. Qui voudra, qui osera remployer?” Cinquante ans plus tard, En Chine, la naissance de bébés à l’ADN modifié fait scandale. Monod s’est trompé et n’a pas anticipé la civilisation que nous préparons: à quoi ressemblera la vie si nous pouvons la synthétiser selon nos envies? Pour André Choulika, pionnier de la génomique, fondateur de Cellectis, un des fleurons de l’industrie biotech française, la prédiction faite par Harrari dans HomoDeus n’est pas du tout délirante: “les hommes vont finir par modifier peu à peu leurs traits, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus humains”!
Retrouvez l’intégralité de l’interview d’André Choulika dans le podcast ” le monde qui vient en questions” sur le site de Boma France.
L’Homme a toujours modifié son environnement, prenant progressivement le contrôle sur le vivant. Depuis les premiers temps de la révolution agricole, il a influencé l’évolution du monde végétal puis animal. La différence majeure avec l’époque actuelle est la vitesse à laquelle cette révolution a lieu. En vingt ans seulement, nous allons avoir la possibilité de modifier notre génome en laboratoire: corriger les erreurs et augmenter nos capacités. Cette perspective a des conséquences politiques, économiques, éthiques que nous sous-estimons aujourd’hui.
La réponse du politique est d’interdire l’augmentation et préserver ainsi le patrimoine génétique de notre espèce. Mais la situation est beaucoup plus complexe qu’elle n’y parait. Comme l’explique André Choulika: aujourd’hui nous soignons certaines maladies génétiques en utilisant des thérapies qui corrigent les gènes non transmissibles à la génération suivante. Les patients sont alors guéris, ils vivent normalement, mais continuent à transmettre leur maladie à leur descendance. Parce qu’aujourd’hui il est strictement interdit de modifier l’ADN des cellules germinales, en jeu dans la reproduction comme les ovocytes et les spermatozoïdes, au bout de quelques générations les anciens malades se reproduisant font mécaniquement “dégénérer” le patrimoine génétique de l’espèce: la pression darwinienne ne s’exerçant plus.
Face à ce risque, que faire? Autoriser la modification de l’ADN des cellules reproductives? Interdire aux patients soignés de se reproduire? Dans les deux cas nous entrerions dans une logique eugéniste. Le dilemme qui se pose à l’humanité est fondamental: modifier notre patrimoine génétique pour soigner au risque de faire évoluer notre espèce ou interdire toute manipulation du génome humain au risque de laisser mourir les malades.
Publié dans le Huffpo le 14/6/19