2023 : année zéro de l'entreprise augmentée
Lorsque l'on parle d'intelligence artificielle, on oublie souvent de souligner la révolution productiviste que les entreprises s'apprêtent à vivre. L'enjeu est colossal, il s'agit de s'assurer une place dans une compétition où l'entreprise augmentée par l'IA sera la norme.
Publié le 28 août 2023 dans Les Echos.
Lorsque l'on parle d'intelligence artificielle (IA) en 2023, on pense souvent aux progrès technologiques fulgurants, aux risques pour l'emploi ou aux promesses futuristes.
Cependant, on oublie fréquemment de souligner la révolution productiviste que les entreprises s'apprêtent à vivre. L'histoire est pourtant éloquente.
La commercialisation de ChatGPT peut être comparée à des moments clés, tels que la mise en service de la première centrale électrique par Edison en 1882 ou l'avènement de l'accès Internet grand public avec la sortie de Windows 95.
Comme Edison en 1882
Ces innovations ont non seulement mis à disposition du grand public de nouvelles technologies, mais elles ont surtout marqué le début de nouvelles ères de productivité. C'est précisément ce que nous vivons actuellement avec l'IA.
Les premières études réalisées en 2023 suggèrent une augmentation de la productivité allant de 15 à 30 % dans certains domaines. Ces observations présagent l'émergence d'une nouvelle organisation de la production que l'on pourrait qualifier d'« entreprise augmentée ».
De la génération de contenu marketing à l'assistance en développement logiciel, en passant par le déploiement de chatbots experts, ces IA transforment la chaîne de production des entreprises et augmentent l'efficacité à chaque étape.
En France, et plus largement en Europe, les entreprises augmentées dépendront largement des solutions américaines d'IA, notamment celles des géants américains.
Cette dépendance soulève de nombreuses interrogations : quelle souveraineté pour les données ? Comment retenir les talents ? Quels investissements pour une infrastructure et un écosystème européen ? Les Européens ont-ils vraiment les moyens de leurs ambitions ? Certains, avec des moyens modestes et des solutions souveraines, tentent de rivaliser avec les géants américains et les solutions les plus avancées et les mieux financées du marché.
Entre l'Europe, la Chine et les Etats-Unis, cinquante nuances de régulation
Malheureusement, cette approche semble vouée à l'échec, comme nous l'avons vu par le passé avec des exemples tels que Qwant, Cloudwatt, Numergy et, dans une certaine mesure, Gaia-X…
Si nous, Européens, souhaitons avoir une place dans cette nouvelle guerre de la productivité, nous devons reconnaître nos faiblesses et miser sur nos atouts. Il est essentiel d'utiliser les infrastructures d'IA existantes en créant de la valeur ajoutée plutôt que de tenter de les remplacer. Autrement dit, nous devons nous rendre indispensables dans l'écosystème technologique plutôt que de tenter de surpasser les leaders, d'autant plus que nous ne disposons pas des mêmes ressources qu'eux.
Un enjeu colossal pour l'Europe
Pour ce faire, il est crucial de privilégier une approche ouverte, d'adopter une stratégie d'écosystème et, surtout, d'embrasser le mouvement open source où les talents sont les plus nombreux. L'enjeu est colossal. Il s'agit de nous assurer une place dans une compétition où l'entreprise augmentée par l'IA sera la norme. La rapidité de cette transition représente un défi suffisamment grand pour ne pas y ajouter d'autres obstacles. Cela demandera de la formation, une transformation des entreprises et surtout un accompagnement au changement soutenu. Les entreprises pionnières seront les grandes gagnantes, tandis que les autres en pâtiront.
Enfin, notre exigence éthique ne doit pas se réduire à une prolifération de lois et de normes. Elle doit guider notre utilisation de l'IA, en assurant à l'homme une place centrale dans la chaîne de production. Un journaliste ou un médecin conservera la responsabilité de son travail, même si celui-ci est optimisé par un outil.
Lorsqu'elle est correctement employée, l'IA peut amplifier nos compétences et libérer notre potentiel créatif. Face à cette transition vers l'entreprise augmentée, comparable aux révolutions industrielles et numériques, la question n'est plus de savoir si vous allez adopter l'IA dans votre quotidien, mais quand.