Une culture post-woke en gestation
La cancel culture serait-elle en passe d'être supplantée par un courant plus universaliste aux Etats-Unis ?
Publié le 1 mai 2023 à 10:50 dans Les Echos
Cette année, la conférence TED avait mis à l'honneur deux sujets : l'intelligence artificielle, ses promesses, ses dangers et sa nécessaire et difficile régulation, et l'évolution de la société américaine. Le débat de clôture s'est terminé par des prises de parole spontanées, notamment celle d'une jeune femme qui a soulevé une question qui pourrait résumer les cinq jours de conférences qui ont précédé : « Comment pouvons-nous apprendre à l'intelligence artificielle à comprendre les humains si ces derniers ne sont même pas capables de se comprendre entre eux ? »
Elle a mis le doigt sur la question centrale dans l'édition 2023 : les Etats-Unis vivent une période de tension sociale particulière depuis l'assassinat de George Floyd, l'élection de Donald Trump, l'attaque du Capitole et les lois récentes contre le droit à l'avortement et s'inquiètent de plus en plus du risque de guerre civile qui menace.
La dégradation des relations entre communautés aux Etats-Unis depuis 2013 appelle à un changement de paradigme pour résoudre les problèmes liés à la focalisation sur les identités.
Une approche « color blind »
Dix ans après le début de la campagne Black Lives Matter et la montée en puissance de la culture woke, un retour de flamme semble se profiler. Et cela s'est traduit cette année lors de la conférence TED par un choix éditorial surprenant. Une séance complète (sur douze) a été consacrée à remettre en question la culture woke et la cancel culture. Les interventions de Coleman Hughes et de Sarah Jones ont particulièrement marqué les esprits.
Le premier, producteur de podcasts et militant d'une approche universaliste, a plaidé pour l'abandon des politiques de quotas ethniques au profit d'une approche « color blind », indifférente aux origines ethniques et raciales. Il a souligné la dégradation des relations entre communautés aux Etats-Unis depuis 2013 et a appelé à un changement de paradigme pour résoudre les problèmes liés à la focalisation sur les identités.
Quant à la seconde, productrice de films et de télévision, elle a dénoncé la pratique de la cancel culture, qui réduit au silence et exclut des personnes du débat public en raison de leurs positions ou actions jugées inadéquates. Elle a appelé à favoriser un dialogue plus inclusif. Même si ces interventions ont suscité de nombreuses réactions, elles marquent un tournant.
Des dilemmes éthiques et moraux
Ces prises de parole sont loin d'être anodines dans un lieu où l'avant-garde américaine se dévoile. Ce choix éditorial a probablement été inspiré par les travaux d'un habitué de la scène de TED, présent dans la salle mais pas sur scène cette année : Juan Enriquez. Dans son dernier livre « Right/Wrong », il explore les dilemmes éthiques et moraux auxquels nous sommes confrontés dans un monde où la technologie évolue à une vitesse exponentielle.
Pour lui, nos valeurs, notre système moral et notre éthique subissent le même type de transformation, à un rythme tout aussi exponentiel ! Ce qui était considéré comme moralement acceptable peut être remis en question en quelques années seulement. L'instauration d'une culture woke et son remplacement par un courant post-woke en seulement dix ans en seraient la parfaite illustration.