Comment airbnb a disrupté le rêve de Noël de ma fille
Article initialement publié sur Huffingtonpost.fr le 24/12/2015 La version anglaise de ce billet est aussi disponible
Souvenez-vous de votre premier Noël à la neige. Si vous avez eu cette chance un jour, enfant, de vivre un 25 décembre à la montagne, il est probable que vous vous en rappelez encore. Fermez les yeux et écoutez le doux son de la cheminée qui crépite, humez l'odeur du sapin devant la fenêtre, admirez le paysage montagneux, sentez la chaleur du chocolat au lait et des crêpes à peine sorties de la poêle. Voilà l'expérience que nous avions prévu de faire vivre notre fille de 3 ans cette année. Nous avons donc réservé sur airbnb un très beau chalet, pendant une semaine, au coeur des Alpes, à deux pas de la belle station de Megève, à Flumet. Parmi toutes les offres proposées dans la région une nous a paru idéale : un chalet "Prestige" à 5 minutes des pistes en voiture et d'après les photos présentées, au coeur de la nature. Le lieu parfait pour faire toucher du doigt ce rêve d'enfant à la petite.
A l’arrivée, en pleine nuit, nous découvrons l’intérieur du chalet qui est plutôt agréable, même si à l'étage, la température est fraîche. Mes beaux parents passent cette semaine avec nous et choisissent gentiment de s’installer en haut. Notre fille et nous sommes au rez-de-chaussée. La nuit passe.
Premier jour, dès l’aube, le défilé de voitures et de camions nous réveille. Le chalet est en bord de départementale. De l'autre coté de la route, je constate médusé que nous sommes entre une zone de stockage et la déchèterie d'une menuiserie attenante. Nous nous apprêtons à passer une semaine entre le passage bruyant des véhicules de livraison qui arrivent et partent de Megève et un terrain en friche où outils, débris et bâches font office de paysage. C’est l’opposé du cadre idyllique que l’annonce airbnb décrivait.
Nous tentons de faire abstraction et passons notre journée à découvrir la région : vins chauds au village, patinoire et premières courses pour préparer la soirée de Noël. Le soir venu, nous rentrons. Quelle surprise, quand nous nous apercevons, dès le premier bain pris, que le ballon d’eau chaude est vide et que nous sommes condamnés à la douche froide à 4 degrés dehors. C’est à ce moment, que je décide de contacter pour la première fois le service client d’airbnb afin de leur demander quel recours nous avons face aux problèmes que nous rencontrons. Quelques minutes d’attente au téléphone et la réponse de mon interlocuteur est claire : "airbnb ne prend pas en compte les nuisances extérieures et concernant la chaufferie nous contactons le propriétaire qui a jusqu'à demain matin pour régler le problème". Agacé par cette réponse, je décide d’abord de contacter directement notre hôte qui m’indique ne pas pouvoir résoudre le problème dans l’immédiat et m’invite à me contenter de la situation ou à partir dès le lendemain matin de son chalet ! J’en appelle alors à quelques contacts sur les réseaux sociaux à la pêche aux idées. Coup de chance, un de mes amis connait bien le patron d’airbnb en Europe et me propose de nous présenter. Ce dernier répond par un message dans les quelques minutes qui suivent en m’assurant que quelqu’un devrait me contacter rapidement pour trouver une solution. Cela ne tarde pas et je suis conscient de cette chance qu’une très grande majorité d'utilisateurs de la plateforme n’ont pas. Une jeune femme du service « expérience utilisateur » d’airbnb en Californie m’appelle sur mon téléphone mobile pour nous rassurer et nous promettre qu’elle traitera le problème dés le lendemain matin. Nous nous endormons.
Deuxième jour, mon interlocutrice de la veille nous rappelle et nous propose de nous transférer dans un autre chalet qu’il nous reste à trouver à condition de régler les deux premières nuits. J’accepte en prenant le soin de préciser que nous ne pouvons pas prendre le risque d'abandonner ce chalet sans une alternative certaine car nous imaginer bloqué en montagne sans logement avec un enfant en bas âge est impensable. Evidemment, elle nous assure qu’une solution sera dans tous les cas assurée par airbnb. Second jour de vacances, nous n’avons toujours skié ni véritablement eu le temps de nous occuper des activités de montagne car nous sommes mobilisés sur le dossier airbnb. Nous voilà encore partis pour passer quelques heures dans le village en attendant la solution alternative assurée par notre gentil contact du support utilisateur. Les heures passent, il est 17h, la nuit commence à tomber et l’inquiétude monte d’un cran. C’est à ce moment que je reçois un SMS. Enfin, un nouvel hôte nous propose un chalet très confortable à quelques minutes en voiture et nous donne RDV à une adresse que nous ne pourrons récupérer qu’une fois la réservation effectuée et réglée sur le site. Armé de mon téléphone mobile, je conclue la transaction, règle la totalité du séjour dans ce nouveau chalet et nous nous mettons en route. Le plus important est de commencer enfin ces vacances dont nous rêvons. Un petit détour pour acheter un nouveau sapin de Noël et nous arrivons à 18h précises au rendez-vous.
Il fait nuit et froid. Une femme nous accueille en précisant qu'elle a en charge l'ouverture de la maison, le propriétaire étant absent (et injoignable) car "en vacances actuellement sur un bateau en Jamaïque !". Le chalet est glacial mais plutôt joliment décoré. Nous gardons nos doudounes sur le dos, il fait 7 degrés à l'intérieur. Nous allumons cheminée et chaudière et passons le temps à décorer le nouveau sapin en attendant que la température monte. Deux heures passent, le thermomètre ne bouge pas, toujours 7 degrés partout dans le chalet. La chaudière semble allumée mais rien n’y fait. J'ouvre le four de la cuisine, branche tous les radiateurs électriques, tente de contacter notre hôte, personne au bout du fil. J'envoie un nouveau mail au service client. Pas de réponse. J'appelle le service utilisateur français d'airbnb. 30 minutes passent avant d’obtenir le premier conseiller. Il est 20h30, notre fille est depuis 2h30 emmitouflée dans son anorak de ski devant un sapin triste, dans une maison glaciale à l'odeur de renfermé. La cheminée peine à tirer. Le rêve tourne au cauchemar.
72h se sont écoulées. Evidemment, c’est à ce moment que je sors de mes gonds. Nous sommes en train de vivre le pire Noël de notre vie. Je demande immédiatement d'annuler et de rembourser la totalité de ma dernière réservation. À cette heure tardive l'hôtel est ma seule issue peu importe le prix. Vous imaginez bien le coût de deux chambres à la dernière minute pendant une semaine de Noël à proximité de Megève ? Et là, que me répond le service client d'airbnb ?
"Si nous annulons cette réservation à votre demande, nous ne pouvons pas vous rembourser, Monsieur !"
"Pardon ? Vous ne pouvez pas me rembourser la location d'un chalet de montagne dans lequel nous venons à peine d’arriver et où il fait 7 degrés sans chauffage fonctionnel ? Avec un enfant en bas âge à l'intérieur ?"
"Comprenez monsieur, c'est une somme !"
Moi, au bord de la crise de nerfs : « c'est mon pognon c****** que tu as encaissé en avance de ta prestation de m**** que tu ne veux pas rembourser !"
airbnb : "Il nous faut une preuve qu'il fait 7 degrés dans le chalet pour envisager un remboursement, Monsieur".
J'avale ma rage. Il faut dire que j’ai passé 30 minutes à attendre avant de pouvoir parler à quelqu’un. Bien sûr, je ne me sens pas très fier d’obtempérer et prends conscience de la façon dont je me laisse traiter. Je transmets par mail une photo du thermomètre figé sur 7°C depuis 3h à mon interlocuteur qui finit par accepter le remboursement. Pour la deuxième fois depuis notre arrivée nous faisons nos valises et déshabillons l’arbre de Noël. Nous repartons sur la route en quête de deux chambres pour la nuit et d’un repas au chaud pour notre fille. Par chance nous trouvons un point de chute : un hôtel disponible au prix du tiers du séjour pour une seule nuit. Peu importe. Notre petite dîne, veille un peu et nous filons nous coucher, éreintés.
Quatrième jour de « vacances », il est temps de reprendre nos esprits et de nous rendre à l’évidence, nos vacances sont écourtées et il nous faut nous résigner à rentrer à Paris.
Nous sommes le 24 décembre, trois jours se sont écoulés et je n’ai reçu aucune nouvelle d'airbnb ; ni de mon interlocutrice si gentille du service client californien, ni du si sympathique patron d’airbnb en Europe, à qui j'ai pourtant fait part de la conclusion de notre séjour. Nous avons dépensé en trois jours de stress la totalité du budget de notre semaine de vacances, les premières leçons de ski de notre fille ont été annulées et airbnb a disrupté nos fêtes de Noël !
Alors évidemment, il y a plus grave dans la vie. Et cette histoire n'est qu'un cas particulier. Nous sommes aussi privilégiés face aux innombrables et croissants problèmes rencontrés chaque jour par les utilisateurs de cette plateforme. J’étais jusqu’à présent non seulement fan d’airbnb et ce depuis les premiers jours de l’ouverture en France, mais aussi un prescripteur du service. Il m’arrive très souvent d’évoquer le modèle airbnb lors de mes prises de paroles en public sur les sujets de la disruption à l'ère de la digitalisation de masse, comme ce fut le cas il y a un mois à la conférence newtourism 2015.
Nous connaissons la mécanique et le modèle d’affaire d’airbnb. La plateforme part du principe, contrairement aux acteurs traditionnels de l’hôtellerie, qu'elle n'a plus besoin d’acquérir des lieux d’hébergement ou encore de les louer, ni même de faire appel à du personnel qualifié pour assurer l'accueil, le service ou prendre la responsabilité des prestations qu'elle vend. Elle utilise massivement le numérique, le web, le mobile pour faciliter la mise en relation de ses clients (hôtes et locataires). Elle capte en permanence des données pour améliorer son offre. Ce faisant, elle minimise radicalement ses coûts d'investissements et ses charges pour se rémunérer en capitalisant sur des actifs qui ne lui appartiennent pas et qu'elle aide à exploiter en ponctionnant une partie de la valeur qu'elle arrive à en tirer. C'est une mécanique qui fait appelle à la puissance de la foule, c’est à dire de la main d'oeuvre qu'elle n'embauche pas et sur laquelle elle ne paie pas de taxe. Bref, airbnb a en effet trouvé une martingale qui fonctionne à merveille, jusqu’à un certain point...
Cette histoire m’a permis de prendre conscience d’une facette du modèle airbnb qui m’avait échappé. Elle constitue probablement une des failles que les principaux concurrents traditionnels du service ont intérêt à massivement exploiter. La faiblesse principale d’airbnb réside dans le fait, contrairement à ce que prétend leur récente campagne de communication ventant l’hospitalité et la responsabilité, qu’il ne peuvent structurellement pas tenir ces deux promesses à leurs clients.
La responsabilité que porte un professionnel à l’égard de sa clientèle ne peut être comparée à celle d'un amateur. En l’occurrence tout le monde ne peut se prétendre hôtelier. C'est un métier normé, avec un sens du service et de l'hospitalité. C’est une responsabilité qu'un amateur ne peut assumer. Un tiers doit le faire à sa place. Et c'est précisément ce qu’airbnb ne fait pas. airbnb pourrait prendre par exemple la responsabilité de qualifier chacun des produits mis en ligne sur sa plateforme et arrêter de considérer que les mauvaises expériences de leurs clients serviront à qualifier leur stock. airbnb pourrait prendre la responsabilité de gérer l'accueil de leurs clients plutôt que de le déléguer à des amateurs non qualifiés. Ils pourraient développer un écosystème de professionnels en charge de l’accueil et du départ des visiteurs dans une location. Enfin airbnb pourrait proposer un écosystème de services locaux qualifiés et assurés par des professionnels pour répondre aux besoins habituels d'un client dans un hôtel : room-service, blanchisserie, conciergerie... Aujourd’hui, au mieux ils nouent des partenariats sans véritablement prendre la responsabilité du service rendu, au pire, ils sont tentés de reproduire leur modèle en proposant par exemple depuis peu des « expériences touristiques » conçues et organisées par leurs hôtes, toujours amateurs...
À contrario, les hôteliers traditionnels possèdent expertise et main d’oeuvre. C’est une force contrairement aux apparences. Leur métier, quand ils le font bien, leur permettrait de disrupter à leur tour airbnb sur le terrain de ses propres promesses : accueillir, accompagner, prendre la responsabilité de la prestation qu’ils proposent à leurs clients. Le retard que les hôteliers ont accumulé dans la course à la numérisation les handicape face à la puissance apparente de l’expérience utilisateur d’airbnb. Rattraper ce retard est un préalable évidemment indispensable. En revanche, une fois dotés des outils équivalents à ceux des plateformes en ligne les plus évolués, tout se jouera sur le terrain du service. Imaginez un instant, une fois à égalité sur le plan de l’expérience digitale, que les grandes chaînes hôtelières décident de concurrencer airbnb sur son propre modèle ? Imaginez, qu’en plus de leurs propres chambres, elles proposent, comme airbnb, des appartements ou des maisons louées ponctuellement à proximité immédiate de leurs hôtels, mais en assurant en plus un service de la qualité de celui qu’on attend d’un professionnel (accueil, conciergerie, petit-déjeuner, room-service, blanchisserie, nettoyage quotidien des chambres, animations et expériences professionnelles)... J’imagine que ce type de projets a été évalué par les directions stratégiques des chaînes hôtelières ?
Je ne tirerai qu’une seule leçon de cette histoire. airbnb ne transforme pas véritablement le marché de l’hôtellerie. La plateforme vient plutôt concurrencer les mauvais hôtels ou les agences de location temporaire d’appartements et de maisons. Imaginer le contraire c’est prendre le risque, comme nous l’avons fait cette semaine, de vivre un cauchemar. La technologie, le bigdata, les outils de communication en ligne sont absolument nécessaires aujourd’hui pour répondre à l’enjeu d’un tourisme de masse mais ils ne remplaceront jamais la chaleur et l’hospitalité d’un humain qui vous accueille et prend soin de votre bien-être parce qu’il a fait du sens du service son métier.