Notre cerveau, territoire en guerre.
La guêpe écarlate
Connaissez-vous l’histoire de la guêpe écarlate. La guêpe écarlate a la capacité d’injecter un venin à ses proies qui sont des blattes des cafards. Quand la guêpe injecte son venin à une blatte celle-ci a un comportement compulsif : elle se met à se toiletter de manière frénétique. Pendant que la blatte est enfermée dans cette compulsion : la guêpe pond des œufs sur l’abdomen de la blatte. Les œufs finissent par éclore et envahir le corps de la pauvre bête. Celle-ci meurt dévorée par les bébés guêpes sans réagir. Est-ce que vous savez quelle est la substance contenue dans le venin injecté par la guêpe ? Il s’agit de la Dopamine. La dopamine… Vous en avez entendu parler. C’est une substance à laquelle on est de plus en plus exposés particulièrement depuis qu’on utilise les outils numériques… En effet on a découvert que réseaux sociaux, notifications numériques et toutes sortes de sollicitations quotidiennes issues de vos dispositifs numériques ponctionnent nos ressources cognitives.
Notre cerveau territoire en guerre
En effet, notre attention, notre capacité de concentration, notre temps de cerveau sont absorbés par les nouveaux usages et les technologies numériques. Or, dilemme, nous vivons dans un monde en mutation permanente qui nous demande précisément de plus en plus de ressources cognitives, pour s’adapter, pour apprendre, pour comprendre et agir. Est-ce que cette érosion grandissante de nos ressources cognitives par le numérique est une fatalité. Autrement dit est-il possible de mettre le numérique au service de notre développement cognitif ? Beaucoup pensent que c’est tout à fait possible. Il y a une première catégorie d’acteurs qui veulent utiliser le numérique pour nous augmenter cognitives. Ce sont des transhumanistes. Ils ambitionnent de connecter par exemple notre cerveau à des machines dotées d’intelligence artificielle. Et c’est très sérieux puisque cela a donné naissance à des projets révolutionnaires comme Kernel ou Neuralink, dont l’objectif est de créer des connecteurs à la taille des neurones pour hybrider l’intelligence humaine. Des centaines de millions de dollars sont investies pour créer des prothèses implantées dans le cerveau Les transhumanistes comme Ray Kurzweil ou le fondateur du MIT Medialab Nicholas Negroponte annoncent cette révolution pour les années 2040… Ils ont inspiré des entrepreneurs comme Elon Musk qui investit dans ces technologies. Mais on en est encore très loin et tout cela reste du domaine de la SF. D’autant que le résultat ne sera pas forcément aussi positif qu’ils le pensent. En effet, comme l’écrit le psychanalyste Miguel Benasayag, cette vision d’un cerveau augmenté pourrait aboutir à une humanité diminuée. Une fois déconnectés de la machine, nous ne saurions plus rien faire sans elle. C’est d’ailleurs déjà le cas aujourd’hui : Les extensions numériques qui nous entourent sont des prothèses qui augmentent notre pouvoir sur le monde mais atrophie notre puissance. En parallèle, la recherche s’intéresse depuis plusieurs années à d’autres approches qui utilisent les technologies numériques pour augmenter nos capacités cognitives intrinsèques. Autrement dit augmenter notre puissance, pour reprendre cette théorie de la différenciation entre pouvoir et puissance.
“Les extensions numériques qui nous entourent sont des prothèses qui augmentent notre pouvoir sur le monde mais atrophie notre puissance.”
Comment ça marche ?
Ces nouvelles approches sont plus respectueuses des mécanismes du vivant. Plutôt que de se substituer aux processus naturels elle les entraîne et les rend plus efficaces. Je vous propose de schématiser comment cela fonctionne. Tout d’abord, les neurosciences nous apprennent que notre vie intérieure est le produit d’un bain chimique dans notre cerveau. Si vous voulez creuser le sujet, je vous invite à lire « Le cerveau et le monde interne » de Mark Solms et Oliver Turnbull. C’est un ouvrage passionnant duquel j’ai extrait les quelques idées qui vont suivre. On y apprend notamment que, l’adrénaline est une hormone qui est libérée dans le sang essentiellement en cas d'émotions intenses comme la peur, la colère, le stress, elle a pour effet, de nous faire réagir en urgence, de sursauter. Il a été démontré que l’exposition quotidienne aux informations anxiogènes augmentait significativement le niveau d’adrénaline dans le sang. La dopamine est libérée en anticipation d’une récompense. C’est la dopamine qui nous incite à explorer un environnement pour aller à la recherche d’une récompense. Comme de la nourriture ou un partenaire sexuel. Les notifications générées par les réseaux sociaux ont pour effet de libérer de la dopamine. Ces notifications agissent comme les promesses de récompenses. Les pics de dopamine auxquels nous sommes exposés chaque jour sont de plus en plus addictifs par un phénomène d’habituation et nous incitent à être de plus en plus exposés, de plus en plus consommateurs de ces réseaux sociaux. Il a été prouvé qu’un excès de dopamine provoque de l’agitation et la baisse de la concentration et de la mémoire à court terme. Ce phénomène peut être schématisé par une boucle infinie. Prenons l’exemple de la consommation de contenus anxiogènes. Lorsque vous consommez des contenus anxiogènes, vous sécrétez de l’adrénaline. Or l’adrénaline accroît notre vigilance. Cela nous rend très réactif face à certains systèmes d’alertes. Notre système d’exploration via la dopamine jouant son rôle en permanence, à force d’être exposé à des contenus anxiogènes, notre cerveau va nous amener à privilégier ce même type de contenus qu’il porte en priorité son attention sur les mauvaises nouvelles, les dangers, et ce qui nous fait peur… Cette double boucle négative, qui mêle dopamine et adrénaline explique un phénomène assez courant dans nos sociétés modernes. Les produits ou services qui utilisent les boucles négatives sont de plus en plus nombreux autour de nous. Vous les connaissez… Plus ils sont addictifs, plus ils sont rentables économiquement. Ce type de boucles nous maintient dans un état de stress et de vigilance permanent. Elles nous enferment dans des comportements compulsifs anxiogènes.
Le bain chimique de notre cerveau
Par ailleurs, il faut savoir que d’autres hormones constituent le bain chimique qui entoure notre cerveau. Certaines de ces hormones sont appelées schématiquement « les hormones de la récompense ». Ces récompenses pouvant se traduire par des activités diverses : alimentaire, sexuelle, sociales… etc.
Les endorphines par exemple, sont produites quand nous avons une activité physique intense, pendant une séance de sport ou pendant l’orgasme. Elles peuvent aussi être sécrétées par notre cerveau quand nous jouons à des jeux mobiles comme Candy Crush ou face à certaines vidéos TikTok ! Comme tout organisme vivant, notre cerveau va chercher à optimiser le coût d’accès à ces hormones qui même si je caricature un peu lui font du bien… On comprend alors que passer une heure devant Candy Crush ou TikTok est moins coûteux que de faire une séance intense de jogging…D’où le succès de ces apps addictives et le temps de cerveau qu’elles peuvent accaparer.
L’ocytocine est connue comme étant l’hormone de l’empathie. Sa production augmente par exemple quand vous prenez la main de quelqu’un.
La sérotonine enfin, est un régulateur de l’humeur. On commence à comprendre qu’elle est produite entre autres au cours des relations sociales. Des études ont montré que l’arrêt des réseaux sociaux permettait de retrouver un équilibre de production de sérotonine dans le corps au bout de quelques semaines seulement. Théoriquement il est possible de transformer la boucle négative qu’on a vue il y a quelques instants en une boucle positive… En remplaçant l’anxiété par la satisfaction : l’adrénaline par des endorphines, de la sérotonine ou de l’ocytocine… Pour cela privilégier les expériences, l’acquisition de compétences, cultiver des relations… Qui boosteront votre curiosité et vous inciteront à nouveau à explorer des contenus positifs plutôt qu’anxiogènes. L’implémentation de ce type de boucle est un enjeu majeur pour le futur de notre équilibre psychologique et social. On pourrait même se risquer à dire que c’est en enjeu politique majeur. Cela voudrait dire que nous devrions trouver comment rivaliser avec les trous noirs cognitifs auxquels on est confrontés quotidiennement à cause des réseaux sociaux ou des médias anxiogènes…
Des apps qui sauvent votre cerveau ?
Est-ce que l'on peut mettre à profit cette connaissance du fonctionnement cognitif pour créer des boucles positives au service de l’éducation, de la santé, de la créativité, de la productivité… De plus en plus de solutions numériques du marché tentent de répondre à cet enjeu. Nous ne sommes qu’au tout début de cette révolution qui exploite le numérique et les sciences cognitives. Mais j’ai listé quelques exemples de services qui utilisent ces approches positives des neurosciences. Je citerai par exemple la catégorie des applications destinées à améliorer les capacités de mémorisation et de résolution de problèmes. Je vous conseille par exemple d’essayer. Les apps suivantes sur votre mobile : la première s’appelle LUMOSITY, la seconde : P E A K, la troisième COGNITO Coach. Elles sont téléchargeables sur iPhone ou Android. Ces apps encore rudimentaires, dont on peut certainement discuter l’efficacité scientifique, sont tout de même utilisées pour développer de nouvelles compétences ou aider à garder une certaine vivacité d’esprit. Les personnes âgées qui commencent à sentir un déclin cognitif sont les principales utilisatrices de ces apps. Il y a aussi des applications destinées à améliorer les capacités de concentration et d’attention. Je vous conseille par exemple : BE FOCUSED PRO qui utilise la méthode Pomodoro pour vous astreindre à des sessions de 25 minutes de concentration sans interruption. Je l’ai beaucoup utilisée jusqu’à ne plus en avoir besoin aujourd’hui/ C’est très utile si vous avez du mal à vous concentrer. Il y a aussi l’application DEWO qui est basée sur une IA capable d’analyser votre agenda. Elle vous propose une nouvelle organisation afin de consacrer des plages de temps long pour vos activités qui demandent attention et concentration sans interruption. Enfin, je vous conseille l’application Freedom qui vous permet de bloquer les notifications intrusives de vos ordinateurs et mobiles. Très utile ! La toute dernière catégorie d’applications qui me semblent intéressantes pour vous entraîner cognitivement sont les applications de contenus qui exploitent les formats courts. Elles utilisent les mêmes méthodes que les réseaux sociaux, certains médias ou certains jeux vidéos, comme les attrapes clics, les systèmes de recommandation et les notifications, pour vous amener à consommer du contenu éducatif de qualité. Je pense aux plateformes de contenus audio et vidéo comme celle de TED et sa nouvelle version dédiée à l’apprentissage appelée TED courses. Il y a aussi plusieurs applications de résumés d’ouvrages, qui vous permettent de lire en lecture rapide et résumé des centaines d’ouvrages. Elles vous permettent d’explorer des territoires nouveaux et d’aiguiser votre curiosité.
Il y a deux applications qui font cela très bien : BLINKIST ou GetAbstract.
De plus en plus d’utilisateurs modifient leurs routines quotidiennes pour y intégrer ces outils numériques au service de leur développement cognitif. C’est une première étape pour s’extraire des gouffres à attention que constituent notamment les réseaux sociaux. Même si nous rencontrons beaucoup de fausses informations autour de ces sujets, il reste néanmoins que nous sommes bel et bien au début d’une ère nouvelle où les sciences cognitives seront utilisées dans tous les domaines, et ce positivement on l’espère. Demain peut-être les réseaux sociaux eux-mêmes privilégieront les contenus éducatifs et de qualité ? On peut rêver ? Il reste à s’interroger sur la manière dont ces nouvelles activités qui vous permettent d’explorer de nouveaux territoires, de découvrir de nouveaux sujets, peuvent également aider à améliorer votre créativité et votre productivité. Autrement dit à passer de l’exploration à l’exploitation de ces connaissances… Mais ça, c’est une autre histoire.
Ce texte est la transcription de l’épisode “Le numérique peut-il sauver notre cerveau ?” de TRENDSPOTTING