Futurs de la santé : tendances, scénarios, risques et opportunités pour le secteur.
Chaque mois, j’explore ici les futurs possibles de différents secteurs industriels en France à l’horizon 2035. Aujourd’hui, je vous propose de nous intéresser à un domaine qui nous concerne tous : le secteur de la santé. En partant de tendances déjà à l’œuvre, j’ai imaginé deux scénarios radicaux mais crédibles qui pourraient redéfinir notre rapport à notre santé…
Scénario 1 : Défiance et privatisation, une santé à deux vitesses
Un retard technologique européen qui pèse lourd
Nous sommes en 2035. Depuis la fin des années 2020, l’Union européenne n’a cessé de renforcer ses régulations pour protéger les données personnelles, en s’appuyant notamment sur le RGPD et sur de nouvelles lois encadrant l’IA médicale. Ce cadre réglementaire très strict a provoqué un retard significatif des entreprises européennes face aux grandes puissances technologiques nord-américaines et asiatiques. Les investissements massifs de ces dernières dans la recherche en intelligence artificielle et dans les solutions de santé connectée leur ont permis de prendre une avance considérable. En France, l’hôpital public, déjà fragilisé par la saturation chronique et le manque de personnel, peine à se moderniser. Les tentatives de réforme s’enlisent, faute d’une vision politique cohérente et de ressources financières suffisantes. Par le passé, le système de santé français avait su faire preuve de résilience, mais il se retrouve désormais confronté à une vague de pathologies chroniques, directement liée au vieillissement accéléré de la population, sans parvenir à adapter ni ses infrastructures ni son organisation.
Des scandales qui alimentent la méfiance (2025 – 2029)
La défiance envers le numérique se cristallise dans plusieurs scandales intervenus entre 2025 et 2029, bien que leur ampleur soit plus limitée que ce que l’on craignait.
En mars 2026, une faille de sécurité chez un prestataire de services de santé révèle la vulnérabilité des systèmes d’information hospitaliers français. La brèche, touchant quelques centaines de milliers de dossiers médicaux, suscite l’indignation des associations de patients et de la CNIL, qui dénoncent aussitôt la faiblesse des budgets alloués à la cybersécurité. Les médias s’emparent de l’affaire et contribuent à éroder la confiance de la population envers le secteur public.
L’année suivante, en novembre 2027, l’introduction d’algorithmes de triage dans plusieurs hôpitaux pilotes donne lieu à un flot de critiques. S’ils ne provoquent pas de catastrophes massives, ces IA, importées de l’étranger, commettent suffisamment d’erreurs de diagnostic et de retards dans l’orientation des patients pour que médecins et soignants dénoncent leur inadéquation au contexte clinique français. La méfiance grandit alors, aussi bien du côté des professionnels de santé que de celui des patients.
En avril 2029, un nouveau scandale éclate lorsque plusieurs plateformes de télémédecine sont accusées d’avoir recoupé des données de santé avec des profils publicitaires afin d’optimiser leur rentabilité. L’ampleur réelle de la dérive se révèle moins importante que dans les rumeurs initiales, mais l’idée qu’une partie des informations médicales puisse alimenter des pratiques commerciales heurte une opinion publique déjà échaudée. Au fil de ces années, la santé connectée inspire de plus en plus de prudence et, si les Français ne la rejettent pas en bloc, ils demeurent sur leurs gardes.
Le virage vers la privatisation (2030 – 2032)
À partir de 2030, la situation du système de santé français devient critique. Plusieurs rapports convergent pour souligner la stagnation préoccupante de l’innovation médicale en Europe. Malgré les réglementations protectrices, l’absence d’une stratégie d’investissements conjoints à l’échelle de l’Union se fait cruellement sentir. Les budgets R&D dédiés à l’IA médicale sont bien plus faibles que ceux de la Chine ou des États-Unis. La France, déjà à la traîne, voit ses hôpitaux submergés par l’arrivée toujours plus massive de patients âgés et de malades chroniques.
En janvier 2031, l’OMS publie un nouveau bilan alarmant : dans l’Hexagone, la saturation des services d’urgence et la pénurie de spécialistes prennent des proportions inédites. Les files d’attente pour obtenir un rendez-vous, en cardiologie, en cancérologie ou en gériatrie, s’allongent dangereusement. Les professionnels de santé tirent la sonnette d’alarme, parlant d’une possible “rupture de soins” si rien n’est fait.
En septembre 2032, le Parlement français adopte alors la loi Santé & Privatisation, un texte qui autorise la cession ou la mise sous gestion privée d’hôpitaux publics, dans l’objectif d’alléger la charge du secteur public. La mesure suscite des oppositions farouches, portées par plusieurs syndicats et collectifs de patients, mais la crise sanitaire et l’inaction politique prolongée ont préparé le terrain : les assurances santé “premium”, principalement proposées par des acteurs internationaux, se développent en proposant des couvertures plus avantageuses et un accès prioritaire à des technologies de diagnostic prédictif encore rarissimes dans les hôpitaux publics. Ces offres, onéreuses, ne sont évidemment pas accessibles à tous, mais parviennent à convaincre une partie de la population aisée, peu disposée à affronter les interminables délais du secteur public.
La santé à deux vitesses (2033 – 2035)
Entre 2033 et 2035, on assiste à une polarisation toujours plus nette entre une médecine publique qui n’a jamais vraiment su prendre le virage de la modernisation, et des cliniques privées haut de gamme qui, elles, profitent pleinement de l’avance technologique américaine et asiatique. D’un côté, la plupart des Français, par manque de ressources ou de volonté, se contentent de consultations traditionnelles. Ils restent méfiants face aux dispositifs connectés, même si l’on ne peut parler d’un rejet total. Dans bien des cas, c’est avant tout la question du coût qui les empêche de basculer vers des solutions innovantes. De l’autre côté, une minorité plus aisée se tourne sans hésitation vers des établissements privés de pointe, où les techniques de télémédecine et d’analyse prédictive sont considérées comme fiables et sûres. Cette minorité ne nourrit d’ailleurs guère de défiance : au contraire, elle bénéficie d’une offre ultra-technologique, sans être freinée par le souvenir des scandales passés.
Dans le secteur public, les reformes s’accumulent sans jamais véritablement s’appliquer. Les tentatives de rehausser les compétences numériques du personnel soignant restent entravées par le manque de financement et par la lourdeur administrative. Certains praticiens, lassés d’exercer dans des conditions difficiles, finissent par quitter l’hôpital pour rejoindre des cliniques plus modernes. Faute d’actions préventives et d’accès rapide à des spécialistes, on en vient à “réparer” plutôt que prévenir : une logique qui pèse lourdement sur les finances publiques. Le vieillissement rapide de la population complique encore la donne, provoquant un afflux de patients dans un réseau hospitalier déjà saturé.
Au même moment, des initiatives citoyennes voient le jour, malgré leur portée limitée. Quelques associations, mutuelles engagées ou collectivités locales ouvrent des “tiers-lieux de santé solidaire”, qui tentent de mêler pratique médicale et accompagnement social, avec une petite touche de numérique de proximité. Certaines voix militent pour qu’un “service public digital minimum” soit garanti à tous, incluant un dossier médical unifié et sécurisé. Le lobbying d’acteurs privés, la fragmentation budgétaire et l’absence de coordination nationale freinent cependant les avancées. Dans ce contexte, la fracture continue de s’élargir : la France se retrouve avec un pôle premium, hautement technologique et aux mains de groupes étrangers, et un secteur public en difficulté, où les patients et les soignants n’ont ni l’énergie ni les moyens de rattraper le retard numérique. Les rares scandales survenus depuis 2025, même moins impressionnants que redouté, ont suffi à renforcer un climat de prudence, pour ne pas dire de défiance, et à gripper durablement les processus d’innovation dans le système public.
Une santé fracturée
En 2035, le constat s’impose : la France s’est installée dans un modèle de santé à deux vitesses, au sein d’une Europe elle-même en retard par rapport aux champions internationaux de l’IA médicale. Les plus aisés, confiants dans les promesses de la technologie, s’offrent sans scrupule ni complexe des soins connectés d’une précision remarquable. La majorité de la population, quant à elle, n’a d’autre choix que de continuer à fréquenter des hôpitaux saturés, peu équipés en outils numériques, et de patienter dans des files d’attente interminables. Les scandales, même moins dévastateurs que prévu, ont largement freiné l’adhésion populaire et nourri une certaine vigilance à l’égard de la télémédecine et de la protection des données. Face à la prolifération des assurances privées haut de gamme et des innovations hors de prix, les pouvoirs publics se retrouvent démunis, incapables d’imposer une vision d’ensemble qui réponde efficacement aux enjeux de la décennie. Au final, le pays oscille entre un système public exsangue, hanté par ses retards et sa prudence excessive, et un secteur privé triomphant, mais largement réservé à une minorité fortunée. Ce scénario illustre la fragilité d’un modèle qui, faute d’avoir investi à temps dans l’innovation et la formation, se retrouve fracturé, avec d’un côté une élite profitant pleinement de la révolution numérique, et de l’autre une majorité de Français obligés de s’en tenir à des pratiques médicales traditionnelles, souvent dépassées et coûteuses à long terme.
Scénario 2 : Le pari réussi de la prévention grâce au plan Europe Santé
Un virage soutenu par l’IA
Nous sommes en 2035. Depuis plusieurs années, la France, portée par un vaste programme européen de modernisation de la santé, a progressivement réorienté son système vers la prévention, notamment grâce à la généralisation de l’intelligence artificielle. Les technologies de diagnostic prédictif et de suivi à distance se sont développées à grande échelle, permettant d’anticiper l’explosion des maladies chroniques liées au vieillissement de la population — diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, troubles neurodégénératifs — avant qu’elles ne deviennent trop onéreuses à traiter.
Le tournant majeur a eu lieu grâce à l’initiative Plan Europe Santé, un programme lancé et financé par la Commission européenne. Si ce plan s’appuie en partie sur des technologies occidentales, notamment américaines, il est avant tout porté par des emprunts mutualisés à l’échelle de l’UE. Cet apport massif de capitaux a permis de moderniser les hôpitaux et d’impulser une culture de la prévention dans tous les États membres, dont la France.
Des initiatives ambitieuses (2025 – 2029)
En 2027, la Commission européenne lance le “Plan e-Santé Europe”, doté de plus de 50 milliards d’euros, dont 10 reviennent à la France. Sur ces fonds, une partie sert à introduire rapidement l’IA dans les hôpitaux et cabinets de ville. Les premiers retours sont encourageants : certains cancers et pathologies chroniques sont diagnostiqués beaucoup plus tôt, réduisant les coûts et les complications médicales. Même si les algorithmes utilisés proviennent en partie de grands groupes américains, l’Europe exige qu’ils respectent des normes strictes de transparence et de sécurisation des données.
En 2028, le Parlement français adopte le Fonds Prévention & Bien-Être, abondé par une nouvelle “Digital Health Tax” : des prélèvements sur certaines transactions boursières et sur les revenus des grandes plateformes numériques (occidentales comme européennes). Les recettes servent à financer des actions locales de dépistage systématique, de télémédecine et de coaching santé, tout en soutenant l’équipement des zones rurales en infrastructures numériques.
En 2029, la création des Espaces Santé Préventive (ESP) marque un jalon décisif. Médecins généralistes, coachs sportifs, nutritionnistes et psychologues y travaillent de concert pour offrir aux patients un bilan préventif complet. Des applications mobiles, souvent développées avec des partenaires américains, viennent renforcer le suivi et la responsabilisation des usagers. Dans les territoires les plus isolés, des médiateurs numériques sont formés pour aider les populations âgées ou peu familières des outils connectés à intégrer ce nouveau modèle.
Le basculement vers une “Sécurité Sociale 2.0” (2030 – 2032)
En 2030, les excellents résultats des programmes préventifs incitent la France à réformer la Sécurité sociale. Rebaptisé “Sécurité Sociale 2.0”, le système prévoit de moduler les cotisations d’assurance maladie selon l’implication de chaque assuré dans son propre suivi (bilans réguliers, dépistages, pratiques sportives). Les mutuelles et assurances proposent des formules “Bonus Prévention” pour encourager l’adoption des outils connectés. Cette transformation soulève aussitôt la question des inégalités : certains citoyens, plus âgés ou moins à l’aise avec le numérique, redoutent d’être pénalisés.
En 2031, la France adopte la Carte SanTIC (Santé et Technologies de l’Information Connectées). Soutenue financièrement par le Plan Europe Santé, cette carte unifie toutes les données médicales d’un individu, sous réserve de son consentement explicite. Vaccinations, prescriptions, parcours de dépistage, analyses génomiques : l’accès aux informations est facilité pour l’ensemble des professionnels de santé, ce qui fluidifie le parcours de soins. Les débats éthiques sont intenses au départ, mais l’opinion bascule en faveur de l’initiative à mesure que les avantages se font sentir (diminution des délais, meilleure détection des pathologies).
En 2032, le programme d’emprunts mutualisés à l’échelle européenne atteint sa vitesse de croisière. La France investit massivement dans l’équipement de ses hôpitaux, la formation numérique des soignants et la sécurisation des données. Même si le continent reste partiellement dépendant des licences américaines en matière de logiciels et d’infrastructures cloud, les institutions européennes tentent de créer un écosystème régional d’innovations en santé. Les retards technologiques accumulés dans les années 2020 sont en partie comblés, grâce à un effort de R&D soutenu par des subventions et des partenariats public-privé.
Un système réinventé (2033 – 2035)
En 2033, l’engorgement des urgences commence à reculer. Les Espaces Santé Préventive (ESP) ont considérablement amélioré la détection et la prise en charge des maladies chroniques. Les patients qui suivent un programme de prévention voient leurs cotisations baisser, incitant toujours plus de monde à se faire accompagner. Dans les zones rurales, la télémédecine est devenue un réflexe, grâce notamment aux investissements du Plan Europe Santé pour renforcer les réseaux.
En 2034, un débat européen sur la souveraineté numérique relance la discussion autour des technologies venues d’outre-Atlantique. Plusieurs incidents de cybersécurité, toutefois limités, suscitent des inquiétudes. Au final, la sécurité des données et la transparence des algorithmes sont davantage encadrées par la législation européenne, tandis qu’un organisme indépendant, l’Agence Européenne de la Santé Numérique, est créé pour superviser la conformité et la fiabilité des solutions déployées.
En 2035, l’édition génomique se profile comme la prochaine frontière thérapeutique. Les premiers tests cliniques montrent qu’il est possible de corriger certaines anomalies génétiques. Cependant, l’UE reste prudente : des verrous réglementaires empêchent la généralisation de ces thérapies, afin d’éviter toute dérive eugénique et de protéger l’équité d’accès aux traitements. Les espoirs sont grands, mais il faudra du temps pour que ces progrès deviennent accessibles au plus grand nombre.
Une dynamique en marche
À l’horizon 2035, la France a radicalement transformé son système de santé en misant sur la prévention, l’IA et la collaboration européenne. L’hôpital, longtemps en crise, se recentre sur les cas lourds tandis que les Espaces Santé Préventive assurent un suivi en amont, déchargeant peu à peu les services d’urgence. Le financement s’appuie sur des emprunts mutualisés et la “Digital Health Tax”, permettant de soutenir durablement l’innovation, la formation des personnels soignants et la sécurisation des données.
Si les géants américains restent incontournables dans l’écosystème technologique, les pouvoirs publics européens renforcent progressivement la souveraineté numérique du continent, notamment via la mise en place de standards éthiques stricts et de financements conséquents pour la R&D locale. Des disparités persistent : la fracture numérique n’a pas totalement disparu et certains patients craignent encore une surveillance excessive. Néanmoins, le bilan global est nettement positif : la proportion de maladies détectées précocement augmente, la mortalité pour plusieurs affections chroniques recule, et la culture du soin se transforme en profondeur, plaçant la prévention au cœur des priorités.
Risques et opportunités
Il est clair que le scénario de rupture du système de santé, le scénario à deux vitesses, s’avère être le plus plausible, en raison de l’augmentation continue des maladies chroniques, de l’essor des déserts médicaux et de la saturation des services de santé. S’il est vrai que, pour l’instant, le secteur privé ne domine pas entièrement le secteur, il se pourrait que, sans réformes ambitieuses, cette prise de contrôle progressif devienne inéluctable.
Comment maintenir le modèle de santé français basé sur la gratuité et l’égalité d’accès aux soins ? Pour maintenir un modèle solidaire, il serait possible de déployer des solutions sur deux axes principaux, potentiellement complémentaires. Le premier impliquerait de moderniser la Sécurité sociale en s’appuyant sur l’IA et le numérique plus largement pour optimiser les coûts et garantir un accès universel aux soins. Le second se fonderait sur un changement radical vers la prévention, afin de limiter le recours à la médecine curative et d’inciter les citoyens à jouer un rôle central dans la gestion de leur santé.
Dans le cadre d’une modernisation ambitieuse du système de santé, les avancées technologiques (IA, biotechs, télémédecine…) pourraient constituer un levier majeur pour désengorger les services, réduire les délais d’attente et cartographier plus précisément les besoins médicaux. Déployée à grande échelle, l’intelligence artificielle offrirait une capacité inédite de prédiction des trajectoires de patients à risque, tandis que la télémédecine, notamment en zones rurales, permettrait de soulager la pression qui pèse sur l’hôpital. On peut bien sûr redouter une dépendance à l’égard de grandes plateformes internationales, susceptibles d’imposer un jour leurs propres règles ou de durcir leurs conditions tarifaires. Toutefois une telle collaboration pourrait redynamiser le système français, le rendant plus attractif pour les investisseurs et favorisant l’émergence de nouvelles compétences. De plus, à mesure que l’accès aux modèles d’IA et aux technologies de pointe deviendra plus abordable (grâce à leur “commoditisation”), il serait envisageable, à moindre coût, de basculer progressivement vers des solutions locales. Cette approche permettrait d’abord de développer, en amont de la chaîne de soins, des services à forte valeur ajoutée, en attendant que le reste du système bénéficie à son tour de ces innovations devenues standardisées.
Parallèlement, la généralisation d’une approche préventive pourrait accélérer cette transition. L’hypothèse est qu’en repérant précocement les facteurs de risque, on réduirait significativement les coûts liés à la médecine curative et on limiterait l’aggravation de maladies chroniques. Une telle évolution supposerait d’accorder une place accrue aux citoyens, via des bilans de santé réguliers, la surveillance de leur hygiène de vie et l’usage d’applications ou de capteurs intelligents. Les assureurs pourraient alors offrir des avantages financiers aux individus les plus engagés, diffusant plus largement cette “culture de la prévention”.
Certes, on peut craindre qu’un tel modèle ne renforce la fracture numérique, car une partie de la population pourrait ne pas disposer des connaissances ou des outils nécessaires pour s’approprier ces nouvelles technologies. Les scénarios les plus optimistes misent donc sur une importante politique de formation, l’accompagnement d’intermédiaires spécialisés et la diminution de la fracture digitale.
Développer un nouveau service public de la santé n’exclut pas, pour autant, la mise en place d’une offre privée foisonnante. Au contraire, celle-ci pourrait constituer un puissant moteur d’innovation et contribuer à l’excellence française et européenne dans ce domaine.
En associant un service public modernisé et universel à un secteur privé dynamique, la France disposerait de leviers suffisants pour redevenir un leader international du secteur de la santé. La montée en puissance des start-up MedTech, le renforcement de la coopération entre universités et laboratoires, ainsi qu’un écosystème d’investissements publics-privés, favoriseraient le développement d’une recherche de pointe en IA médicale et en e-santé préventive. L’implication des assureurs encouragerait également la concurrence et l’innovation, sans pour autant remettre en cause les principes fondateurs de gratuité et d’accessibilité pour tous.
Un tel modèle mixte, articulant intelligemment secteur public et secteur privé, cadre réglementaire assoupli et encouragement à la recherche, pourrait être l’épine dorsale d’une réforme profonde. Il faut agir vite : le domaine de la santé évolue rapidement et la concurrence internationale est rude. Le succès passera par la capacité à assouplir certaines règles, à alléger la bureaucratie qui freine l’innovation, à décentraliser des initiatives souvent mieux adaptées localement et à nouer des partenariats audacieux avec des acteurs étrangers. Sans oublier la nécessité de former en masse, à la fois les professionnels et les patients, et de financer des infrastructures robustes, pour que la France prenne une place de choix dans la chaîne de valeur mondiale de la santé.
Il est vrai qu’à l’horizon 2035, le danger persiste de voir une fraction de la population — la moins aisée ou la moins connectée — définitivement exclue d’un système de soins de plus en plus numérisé. Mais si la France accepte le défi et parvient à concilier réformes structurelles, déploiement d’outils numériques, responsabilité citoyenne et soutien fort à l’innovation, elle pourrait réinventer l’esprit originel de la Sécurité sociale tout en s’ouvrant à une médecine préventive, moderne et inclusive. Ce chantier est colossal, mais il recèle la promesse de faire de la France, une fois encore, l’eldorado d’un système de santé universel, plus équitable et durablement tourné vers l’avenir.
Etat des lieux : panorama des initiatives franco-européennes
Plusieurs programmes et projets, en France et en Europe, incarnent déjà la volonté d’évoluer vers ce scénario, centré sur la prévention et l’innovation. Leur mise en œuvre est toutefois inégale.
Le Health Data Hub français
Le Health Data Hub vise à rassembler et mutualiser les données de santé des Français pour faciliter la recherche et l’innovation.
L’objectif du projet est de centraliser et sécuriser les données santé, offrir un cadre éthique et juridique pour leur exploitation et accélérer la recherche médicale.
L’initiative a subit plusieurs frein, notamment une controverse sur le choix initial d’un hébergement sur des serveurs non-européens (Microsoft Azure) qui a suscité des craintes quant à la souveraineté et la confidentialité des données.
Malgré ces freins, c’est une véritable opportunité pour la prévention en s’appuyant sur de larges bases de données pour anticiper les risques de maladies chroniques, personnaliser les parcours de soins et soutenir le développement de l’IA médicale.
L’European Health Data Space européen
L’European Health Data Space ambitionne d’améliorer l’échange transfrontalier de données de santé à l’échelle de l’Union. Le but du projet est de fluidifier la coopération entre États membres, promouvoir la recherche sur tout le territoire européen et faciliter le partage sécurisé de données. Comme le Health Data Hub français, le Health Data Space européen constitue un des piliers d’une stratégie de prévention et d’innovation. Les deux initiatives sont une véritable avancée pour la réalisation du scénario mais elles doivent toutefois lever de nombreux freins réglementaires (notamment sur la protection des données personnelles) et bénéficier de moyens conséquents pour déployer des infrastructures robustes.
Quelques avancées françaises Med-tech
Ma Santé 2022
Le projet lancé en 2018 vise à transformer le système de santé à travers plusieurs axes, dont la télémédecine pour désengorger les cabinets et offrir un suivi à distance dans les zones rurales.. Il intègre notamment “Mon Espace Santé”, un dossier médical personnel et numérique, qui a été déployé pour faciliter la circulation des informations entre patients et professionnels. Le projet se heurte à l’appropriation inégale selon les régions, et la sensibilisation du personnel médical comme du public n’est pas uniforme.
Plan Innovation Santé 2030
Cette initiative a vocation à faire de la France un leader européen en IA, biothérapie, robotique médicale et autres domaines innovants, avec une enveloppe d’investissements dédiée.
C’est une bonne nouvelle pour l’amélioration des diagnostics précoces, la personnalisation des traitements et le développement d’applications de suivi du patient font partie intégrante de cette stratégie.
Hop’EN
Le programme Hop’EN vise à accompagner la transformation numérique des hôpitaux, améliorer la qualité du parcours patient et favoriser la coordination entre professionnels de santé.
C’est un réel levier pour la réalisation du scénario 2. En optimisant la gestion des informations et la planification des soins, Hop’EN participe à une vision où l’hôpital devient un acteur majeur de la prévention, capable d’orienter plus rapidement les patients vers des filières adaptées.
Campus Cyber
Cette structure lancée pour renforcer la cybersécurité en France, située près de La Défense regroupe entreprises, organismes publics et chercheurs.
Elle répond aux enjeux de sécuriser les données médicales. C’est un maillon clé car sans protection robuste des informations sensibles, la transition vers la santé numérique perdrait toute crédibilité.
Les leviers européens
A l’échelle européenne également plusieurs initiatives et projets sont à relever.
EIT Health
EIT Health est un partenariat public-privé à l’échelle européen qui accompagne l’innovation dans le domaine de la santé, de la start-up au grand groupe.
Il donne accès à des financements et à un réseau européen pour développer des solutions innovantes (IA, objets connectés, biotechnologies) qui améliorent la qualité de vie et la détection précoce des pathologies. C’est un levier pour le scénario 2.
Horizon Europe – Cluster Santé
La mission principal de ce programme de recherche et d’innovation est le financement de projets liés à la santé, notamment en IA, médecine personnalisée et numérique. Il crée des opportunités pour les chercheurs et industriels européens de collaborer sur des projets de grande envergure et de mutualiser les savoir-faire.
Programmes et projets en difficulté
Malheureusement beaucoup de projets manquent de coordonation entre membrs de l’union ou sont dans une situation d’echec.
C’est le cas de Gaia-X, initialement pensé comme un cloud européen souverain, qui souffre d’une gouvernance complexe et de la concurrence féroce des GAFAM déjà en place.
C’est aussi le cas de l’Agence Européenne de la Santé Numérique qui est encore en cours de définition et dont la mission reste floue. Les craintes portent sur le risque de créer une agence supplémentaire sans réelle valeur ajoutée.
EU4Health et One Million Genomes sont deux initiatives qui malgré des ambitions fortes (renforcement de la résilience post-Covid pour EU4Health, séquençage à grande échelle pour One Million Genomes), souffrent du décalage entre les intentions et les résultats concrets…
Enfin, Interreg et Digital Europe Programme qui soutiennent des expérimentations régionales, ont un impact global qui reste limité par une fragmentation des initiatives, faute de coordination entre les États membres.
Conclusion : une modernisation à portée de main si la volonté politique suit…
L’Europe accuse un retard important par rapport aux États-Unis, qui disposent de grands groupes capables d’industrialiser rapidement l’usage des données.
Pour ne pas être dépassée, l’Union européenne a encore une chance
en nouant des partenariats transatlantiques sélectifs, tout en maintenant la perspective d’une relocalisation future dès que ces outils deviendront plus abordables et standardisés.
en encourageant un cadre réglementaire et politique plus flexible, afin de surmonter la lourdeur administrative qui freine trop souvent l’innovation en Europe.
Si la France et l’Europe investissent résolument dans les projets de santé numérique et de prévention, elles pourraient concrétiser cette vision d’une “Sécurité sociale 2.0” :