La compétition USA - Chine façonne l'ordre mondial
S’il est un phénomène qui cristallise l’attention des analystes et diplomates aujourd’hui, c’est bien la rivalité féroce entre la Chine et les États-Unis.
Dans « China-US Competition: Impact on Small and Middle Powers’ Strategic Choices » Simona A. Grano et David Wei Feng Huang, décryptent preuves à l’appui, comment cette compétition redessine le paysage mondial. Mais surtout, il expose la manière dont les États de taille moyenne ou plus modeste jonglent entre la pression chinoise et l’ombre américaine.
Un bras de fer aux allures de nouvelle guerre froide
Pékin veut hisser sa puissance au sommet : ses initiatives massives (comme la Belt & Road Initiative) et sa détermination à imposer le « rêve chinois » envoient un signal fort. Washington, de son côté, multiplie ses partenariats (Quad, AUKUS) pour encercler et contrer les ambitions de l’Empire du Milieu. Résultat : des frictions qui rappellent l’ère bipolaire, avec un affrontement total sur les plans économique, militaire et technologique.
Les « petits » pris entre deux feux
Le livre met en lumière un fait crucial : les pays de moindre envergure se retrouvent malgré eux sur la ligne de front. D’un côté, ils ne peuvent ignorer le poids économique de la Chine. De l’autre, la protection américaine reste un gage de sécurité et de stabilité. On parle alors de « hedging », ce subtil jeu d’équilibriste qui risque à tout moment de se rompre face à l’escalade des tensions.
Des choix cornéliens en Europe et en Asie
En Europe : L’Allemagne, à l’économie hyperdépendante de l’exportation, hésite à prendre ses distances avec Pékin. L’Italie oscille, guidée par ses besoins d’investissements étrangers. À l’inverse, le Royaume-Uni post-Brexit et des pays comme la Suède durcissent le ton à mesure que grandit leur méfiance.
En Asie : Le Japon et Taïwan, conscients de la menace stratégique chinoise, renforcent leurs liens avec Washington. La Corée du Sud, elle, reste partagée : elle dépend de la Chine économiquement, mais ne peut se passer du parapluie sécuritaire américain.
L’onde de choc de l’Ukraine et de la pandémie
Le livre s’attarde aussi sur l’impact majeur de l’invasion russe en Ukraine. Face à cette démonstration de force, de nombreux acteurs européens ont réaffirmé leur allégeance à Washington, tandis que la Chine, proche de Moscou, confirme son rôle de challenger global. De surcroît, la crise du COVID-19 a mis en exergue la fragilité des chaînes d’approvisionnement et accéléré un découplage économique à marche forcée.
la compétition stratégique Chine-USA
Le livre établit que la compétition stratégique entre les deux puissances est multidimensionnelle (économique, technologique, idéologique). Cette rivalité, parfois qualifiée de "nouvelle guerre froide", s'inscrit dans un contexte de transition de pouvoir global, où la Chine aspire à remodeler l'ordre international en sa faveur.
Sous Xi Jinping, la Chine abandonne sa posture discrète pour adopter une diplomatie plus affirmée, promouvant une vision d’un ordre centré sur elle-même.
L’Impact de la pandémie de COVID-19 :
La pandémie a amplifié les tensions en soulignant les interdépendances économiques et en cristallisant les discours de rivalité idéologique (efficacité autoritaire vs démocratie libérale).
Les États-Unis ont durci leur position en percevant la Chine comme une menace stratégique majeure, avec un accent mis sur les chaînes d'approvisionnement et la sécurité technologique.
Facteurs domestiques influençant la compétition :
Les dynamiques internes en Chine (ambitions du Parti communiste, ralentissement économique) et aux États-Unis (bipartisme sur la "menace chinoise") renforcent la polarisation.
Réponses des pays européens à la compétition Chine-USA
Allemagne et Italie : Étroitement liées à la Chine par le commerce et la technologie, elles adoptent une posture ambivalente. Berlin, par exemple, hésite à sacrifier ses liens économiques, malgré les pressions américaines.
Royaume-Uni : Après le Brexit, Londres opte pour un alignement stratégique avec les États-Unis, se montrant plus ferme face à Pékin.
Suède : Passée d’un pragmatisme économique à une critique frontale de la Chine, la Suède illustre la rupture européenne croissante avec Pékin.
France : Favorisant une autonomie stratégique européenne, la France refuse de se ranger systématiquement derrière les États-Unis. Tout en entretenant des liens économiques avec la Chine (notamment dans l’aéronautique), Paris critique l’expansionnisme chinois et milite pour un équilibre entre pragmatisme économique et souveraineté stratégique.
Espagne : Privilégiant une approche pragmatique, l’Espagne maintient des relations commerciales stables avec la Chine tout en restant alignée sur les États-Unis via l’OTAN. Elle adopte une posture discrète dans la rivalité stratégique globale.
Portugal : Ouvertement proche de la Chine grâce aux investissements liés aux Nouvelles Routes de la Soie, notamment dans l'énergie (EDP), le Portugal joue une carte économique sans basculer dans une confrontation avec les États-Unis.
Pays nordiques (Norvège, Danemark, Finlande) : Critiques vis-à-vis de la Chine, notamment sur les droits de l’homme, la cybersécurité et les interférences politiques, ces pays restent alignés sur les États-Unis pour des raisons sécuritaires, tout en gardant une certaine neutralité économique.
Réponses des pays asiatiques
Japon : Le Japon renforce son alliance avec les États-Unis, tout en cherchant à maintenir des liens économiques stables avec la Chine.
Corée du Sud : Séoul navigue entre son alliance sécuritaire avec les États-Unis et ses liens économiques avec la Chine, bien que l’administration actuelle montre un alignement plus clair avec Washington.
Taïwan : En raison de la menace directe de la Chine, Taïwan s’appuie sur les États-Unis pour garantir sa sécurité et renforcer son rôle dans l’ordre international.
Singapour : Fidèle à sa stratégie de non-alignement, Singapour jongle entre la Chine et les États-Unis, mettant en avant le pragmatisme économique et la souveraineté nationale.
LES STRATÉGIES GLOBALES
Hedging : De nombreux pays, confrontés à la rivalité Chine-États-Unis, adoptent des stratégies de hedging (équilibrage), évitant de prendre parti de manière catégorique et maximisant leurs bénéfices.
Découplage économique partiel : Les tensions technologiques et les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement incitent certains États à diversifier leurs partenaires économiques.
Impact de l'Ukraine : L'invasion de l'Ukraine par la Russie a renforcé la polarisation géopolitique, poussant certains pays européens et asiatiques à se ranger du côté des États-Unis.
Conclusion
L’ouvrage montre que les petits et moyens États tentent de naviguer dans un environnement stratégique en mutation, cherchant à préserver leur souveraineté tout en maximisant leurs intérêts économiques et sécuritaires. Les réponses varient selon les contextes nationaux, mais le thème récurrent est la difficulté de maintenir une neutralité complète face à la montée en puissance de la Chine et à la réaction américaine.
Face à la rivalité féroce entre la Chine et les États-Unis, l’Europe se retrouve dans une position complexe et fragmentée. Chaque État membre adopte une posture dictée par ses intérêts économiques, sécuritaires et stratégiques, mais aucune approche cohérente et unifiée ne se dessine. Cela soulève une question cruciale : l’Europe peut-elle réellement prétendre à une autonomie stratégique qui la positionnerait comme une puissance alternative capable de rivaliser avec Washington et Pékin ?
Trois scénarios se dessinent :
Une Europe autonome et alternative : En renforçant ses capacités technologiques, industrielles et diplomatiques, l’Europe pourrait aspirer à devenir un centre de pouvoir indépendant. Mais cet idéal d’autonomie stratégique reste freiné par les divisions internes et les interdépendances économiques avec la Chine.
Une Europe acteur neutre et pivot : Une autre voie serait de jouer le rôle d’un médiateur pragmatique, en tirant parti de ses forces spécifiques (comme son savoir-faire technologique ou ses standards réglementaires) pour peser dans le jeu global sans s’aligner totalement. Mais cela nécessiterait une coordination et une vision stratégique forte, encore absentes.
Une Europe renforçant son alliance atlantique : Enfin, un réalignement complet avec les États-Unis, dans la continuité de son histoire, permettrait à l’Europe de maximiser sa sécurité face aux menaces globales (Chine, Russie). Cependant, ce choix pourrait compromettre son ambition d’autonomie et risquerait de réduire son influence dans les régions où elle cherche à jouer un rôle.
Quelle que soit la direction qu’elle empruntera, elle devra surmonter ses divergences internes et s’adapter à un monde où la neutralité devient un luxe difficilement tenable. Ce défi exige une vision collective qui reste à construire…