Vivre est-ce encore accepter de perdre ?
« Tout peut être pris à un homme, sauf une chose : la dernière des libertés humaines – choisir son attitude dans n'importe quelle circonstance, choisir son propre chemin. » – Viktor Frankl
Viktor Frankl, psychiatre autrichien marqué à jamais par l’horreur des camps nazis, a perdu presque tout ce qui faisait sa vie : sa famille, sa liberté, ses certitudes. Pourtant, au cœur de cette dévastation, il découvre une vérité essentielle : même privé de tout, l’homme conserve une ultime liberté : celle de choisir son attitude face à ce qui lui arrive. Dans Man’s Search for Meaning, il développe l’idée suivante : trouver un sens à son existence est le seul moyen de transcender la douleur. À l’instar des Stoïciens, il rappelle aussi que le bonheur repose sur la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous.
De nombreux penseurs contemporains s’inscrivent dans cette lignée. Mo Gawdat, lors de son passage à l’Échappée Volée en 2018, avait présenté une version mathématiques de cette quête : une équation du bonheur : "Happiness = Reality - Expectations". Plus l’écart entre ce que nous imaginons et ce que nous vivons se creuse, plus la souffrance grandit.
De manière poétique, Laurent Derobert traduit cette même idée dans ses mathématiques existentielles, montrant que le désarroi naît de la distance entre nos attentes et la réalité.
Ces perspectives, en écho à l’enseignement bouddhiste, soulignent que la souffrance découle de nos attachements et qu’apprendre à ajuster nos désirs à ce qui est, nous libère.
Dans Master of Change, Brad Stulberg poursuit cette réflexion en se concentrant sur notre relation au changement. Il montre que notre cerveau, obsédé par la prédiction et la maîtrise, se crispe face à l’incertitude, amplifiant ainsi le stress.
La solution ? Accepter que le mouvement et l’imprévu soient inhérents à la vie. Comme Frankl et les Stoïciens avant lui, Stulberg propose une alternative : choisir non pas de réagir au chaos, mais de trouver dans chaque crise une opportunité de sens et de transformation. Individuellement ou collectivement, les épreuves ne sont pas seulement des obstacles : elles peuvent devenir des points d’appui pour grandir.
De Sénèque à Camus, de Frankl à Gawdat et Derobert, en passant par Stulberg, tous convergent vers une idée centrale : vivre, c’est choisir une attitude face aux secousses de l’existence. C’est, comme Sisyphe, apprendre à aimer notre rocher. Non parce que nous en serions vainqueurs, mais parce que nous avons transformé l’effort en un acte de création, et l’absurde en une forme de joie.
Mais dans un monde où l’humain semble grisé par une idée de toute-puissance, où la technologie promet une expansion infinie et où certains rêvent encore d’échapper à leur condition, une autre question se pose. Nous vivons une époque unique, où la finitude pourrait être défiée comme jamais auparavant.
Vivre est-ce encore accepter de perdre ? Ou, pour la première fois de notre histoire, ceux qui défient l’inexorable auront-ils raison ?