2025, un 1989 à l'envers

 
 
 

Jamais la technologie n'a eu autant d'influence sur l'ordre du monde.

Et ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique, où les magnats de la tech semblent avoir pris le pouvoir sur la Maison-Blanche, est possiblement en train de nous plonger dans un scénario radical que peu ont vu venir.

Le dossier qui suit explore ce scénario. Il reprend l'idée selon laquelle les grandes démocraties occidentales seraient en train de basculer vers des régimes autoritaires. Trois lectures croisées alimentent ce scénario, certes empreint de biais inhérents à toute projection, mais néanmoins plausible et aux implications majeures.

La première, « Notre homme à Washington : Trump dans la main des Russes », examine les liens présumés entre Donald Trump et la Russie, suggérant une influence étrangère profonde sur la politique américaine.

La seconde, « Se préparer à l'Empire » : Curtis Yarvin, prophète des Lumières noires, est un dossier du Grand Continent qui analyse les idées néoréactionnaires de Curtis Yarvin. Il prône une transformation radicale des systèmes démocratiques en faveur d'une gouvernance technocratique centralisée.

Enfin, l'essai de Pierre-Yves Bocquet, « La "Révolution nationale" en 100 jours, et comment l'éviter », détaille le projet du Rassemblement National visant à transformer rapidement la France en une démocratie illibérale, en exposant les mécanismes constitutionnels et politiques susceptibles d'être utilisés.

Tout commence le 20 janvier 2025…

Ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique, où les magnats de la tech semblent avoir pris le pouvoir sur la Maison-Blanche, est possiblement en train de nous plonger dans un scénario radical que peu ont vu venir.




La situation politique américaine évolue à vitesse éclair et ses conséquences sur l'ordre mondial sont encore difficiles à prévoir

100 jours pour tout changer

En 35 jours seulement, l'administration Trump montre des signes inquiétants de dérive autoritaire. La concentration du pouvoir exécutif s'accompagne d'un affaiblissement systématique des contre-pouvoirs traditionnels.

Les nominations stratégiques révèlent une logique implacable de loyauté personnelle. À la Justice, Pam Bondi, alliée de longue date de Trump, fait craindre une instrumentalisation politique du département. Au FBI, Kash Patel, qui qualifiait les enquêteurs de Trump de "gangsters gouvernementaux", a lancé une purge ciblant spécifiquement les agents impliqués dans les investigations sur l'assaut du Capitole.

Le renseignement passe sous le contrôle de Tulsi Gabbard, confirmée malgré de sérieuses réserves sur son indépendance. À la Défense, Pete Hegseth, ancien commentateur de Fox News sans expérience substantielle, a été imposé contre l'avis de républicains modérés. Sa première action? Aligner immédiatement les politiques militaires sur l'agenda conservateur, notamment en restreignant l'accès aux soins reproductifs.

Ces nominations ne représentent pas seulement un virage partisan, mais une transformation structurelle de l'État fédéral, remplaçant expertise et indépendance par loyauté absolue envers Trump.

Concentration du pouvoir exécutif et érosion des contre-pouvoirs

Au-delà des nominations, Trump déploie une stratégie institutionnelle systématique visant à démanteler les contre-pouvoirs démocratiques. Ses décisions constituent un assaut méthodique contre les garde-fous traditionnels de l'État américain.

Sa première action marquante fut la grâce collective accordée à près de 1500 personnes impliquées dans l'assaut du Capitole, effaçant d'un trait leurs condamnations et ordonnant l'abandon de toutes les procédures en cours – un signal clair de légitimation de la violence politique.

Simultanément, il a purgé l'appareil d'État de ses mécanismes de contrôle interne en limogeant, sans le préavis légal requis, les inspecteurs généraux de 17 agences fédérales. Ces contrôleurs indépendants, chargés de détecter fraudes et abus, constituaient une protection essentielle contre l'arbitraire.

Le rétablissement du "Schedule F" menace désormais l'ensemble de la fonction publique, permettant le licenciement massif d'experts pour les remplacer par des loyalistes. La mise au pas des procureurs fédéraux s'illustre par l'abandon forcé des poursuites contre Eric Adams, provoquant la démission de procureurs intègres.

Par décrets d'urgence, Trump contourne le Congrès sur des sujets constitutionnellement sensibles comme l'immigration, comptant sur une Cour suprême favorable pour valider ces mesures contestables.

Le rôle de Musk dans cette transformation

Parmi les milliardaires de la tech, Musk en particulier s'est imposé comme un allié officieux du nouveau pouvoir et un agent d'influence inquiétant pour la démocratie américaine.

Musk, et de multiples entreprises stratégiques, a clairement affiché son soutien à Trump. Dès l'investiture, on notait que les liens entre ces deux personnalités s'étaient considérablement renforcés.

En contrôlant X, Musk a aussi levé quasiment toutes les restrictions modérant les contenus extrémistes ou mensongers. Cela offre à Trump et ses partisans un mégaphone sans filtre pour mobiliser l'opinion, attaquer les adversaires et diffuser leur récit politique.

Il ne s'agit pas d'une simple convergence idéologique spontanée : Musk pourrait également rechercher l'appui du gouvernement pour ses affaires (contrats spatiaux, dérégulation, etc.), ce qui créerait un échange d'influence mutuellement profitable. Quoi qu'il en soit, la collusion avec le pouvoir brouille la frontière entre sphère publique et privée. Elle donne à Trump un relais puissant hors de l'appareil d'État pour appuyer son agenda (ou attaquer ses détracteurs) et crée un climat de peur chez les élus qui pourraient être ciblés par Musk sur les réseaux sociaux.

Les républicains au Congrès : soutien, résistances timides et intimidation.

Le Parti républicain joue un rôle déterminant dans cette dérive autoritaire par son alignement quasi unanime derrière Trump. Malgré quelques réticences individuelles, aucun leader républicain n'a publiquement condamné les grâces massives ou le limogeage des inspecteurs généraux. Ce silence collectif équivaut à une approbation tacite.

À l'extrême, certains élus comme la sénatrice Marsha Blackburn encouragent activement ce durcissement, légitimant les nominations controversées et reprenant la rhétorique du "Deep State" pour justifier les purges administratives.

Un climat d'intimidation s'installe : procureurs recevant des consignes pour ralentir des enquêtes sensibles, législateurs menacés s'ils ne soutiennent pas les restrictions électorales, sénateurs surveillés par des proches du pouvoir comme Elon Musk.

À l'international, cette Amérique unilatérale et imprévisible fragilise l'ordre mondial libéral. Abandonnant son rôle traditionnel de défenseur des valeurs démocratiques, Washington suscite méfiance chez ses alliés et espoir chez les régimes autoritaires. Ce basculement américain risque d'enclencher un recul global de la démocratie que beaucoup appellent à contrer d'urgence.

Trump déploie une stratégie institutionnelle systématique visant à démanteler les contre-pouvoirs démocratiques. Ses décisions constituent un assaut méthodique contre les garde-fous traditionnels de l'État américain.

L'Histoire bégaie… à reculons.

Un 1989 à l'envers ?

2025 semble incarner un renversement historique, comme un "1989 à l'envers". Si 1989 symbolisait le triomphe de la démocratie libérale avec la chute du mur de Berlin, la victoire de Solidarité en Pologne et la révolution de velours en Tchécoslovaquie, 2025 marque le retour inquiétant de l'autoritarisme.

Cette dynamique inverse se manifeste partout en Occident. Aux États-Unis, Trump réinstallé à la Maison-Blanche démantèle méthodiquement les garde-fous démocratiques. En Europe, les forces d'extrême droite progressent dangereusement : en Allemagne, l'AfD gagne du terrain avec un programme eurosceptique radical porté par Alice Weidel; aux Pays-Bas, le PVV et le FvD renforcent leur présence parlementaire.

La fragilisation des gouvernements centristes européens contraste avec l'unité démocratique de 1989. La polarisation politique s'intensifie tandis que les partis modérés peinent à contenir la montée des extrêmes.

L'imprévisibilité de la politique étrangère américaine oblige l'Europe à repenser ses alliances et à développer son autonomie stratégique, inversant la tendance à l'intégration transatlantique qui avait suivi la chute du Rideau de fer.


Quel rôle la Russie aurait-elle dans cette dynamique ?

Dans Notre homme à Washington : Trump dans la main des Russes que j’évoquais en introduction, Régis Genté suggère que Trump pourrait être un agent ou un "idiot utile" de la Russie.

Selon l'auteur, l'intérêt du KGB pour Trump remonte aux années 1970, notamment via son mariage avec Ivana, d'origine tchèque et surveillée par les services soviétiques. Un tournant décisif se serait produit lors de son voyage à Moscou en 1987, organisé par des proches du KGB. À son retour, Trump adopte une rhétorique anti-OTAN parfaitement alignée avec les intérêts russes.

Parallèlement, ses affaires s'entremêlent avec les réseaux mafieux soviétiques, qui facilitent ses projets immobiliers et investissent dans ses casinos. Malgré ses faillites répétées, Trump obtient des financements colossaux via une banque allemande liée au blanchiment d'argent russe, avec la banque VTB comme intermédiaire privilégié.

Cette dépendance financière aurait rendu Trump vulnérable à l'influence du Kremlin, le conduisant à adopter un "prisme russe" dans sa vision politique – résultat d'une stratégie d'influence patiemment construite sur plusieurs décennies.


Un parallèle étonnant

2025 semble marquer un renversement de 1989, avec l'autoritarisme en hausse, poussé par des influences étrangères comme la Russie.

On peut établir un tableau récapitulatif des parallèles entre 1989 et 2025. En 1989, la démocratie triomphait avec la chute du mur de Berlin, alors qu'en 2025, l'autoritarisme progresse avec la présidence de Trump et la montée du RN en France. En 1989, on assistait à la fin de l'influence soviétique, tandis qu'en 2025, l'interférence russe est confirmée. L'idéologie dominante passait du libéralisme démocratique au nationalisme et à la néo-réaction, tandis que les droits se renforçaient en 1989 alors qu'ils subissent des menaces constitutionnelles en 2025.

En synthèse, Trump représente un cas unique d'influence étrangère au sommet de l'État américain, fruit de décennies d'approches, de manipulations financières et d'opérations d'influence par Moscou. Qu'il ait été formellement recruté comme agent par le KGB ou non importe peu ; sa personnalité narcissique, ses besoins financiers constants, et son admiration instinctive pour l'autoritarisme ont fait de lui un « actif idéal » pour la Russie.

Finalement, Trump n'a pas nécessairement besoin d'être un espion conscient pour servir les intérêts russes : il suffit qu'il poursuive ses propres intérêts pour affaiblir l'Occident, déstabiliser l'OTAN et promouvoir un modèle autoritaire compatible avec la vision géopolitique de Vladimir Poutine. Ainsi, au-delà d'une simple collusion ponctuelle, c'est une véritable convergence d'intérêts personnels et idéologiques qui fait de Trump « l'homme de Moscou à Washington ».


2025 semble incarner un renversement historique, comme un "1989 à l'envers". Si 1989 symbolisait le triomphe de la démocratie libérale avec la chute du mur de Berlin, la victoire de Solidarité en Pologne et la révolution de velours en Tchécoslovaquie, 2025 marque le retour inquiétant de l'autoritarisme.

Une synthèse entre des mondes incompatibles

Le projet de Trump incarne une synthèse inédite entre des groupes aux intérêts apparemment divergents : les magnats de la Silicon Valley, les "rednecks" des zones rurales, les adeptes des théories du complot et l'aile la plus conservatrice des États-Unis. Cette coalition hétéroclite soulève des questions sur les dynamiques de manipulation et d'influence mutuelle.

Trump : un maître de la manipulation pour le pouvoir personnel

Donald Trump a démontré une capacité remarquable à fédérer ces groupes disparates en jouant sur leurs peurs et aspirations communes. En cultivant une image de leader anti-establishment, il a su capter l'attention des "rednecks" et des partisans de théories du complot, tout en promettant aux conservateurs une restauration des valeurs traditionnelles. Parallèlement, son engagement à déréglementer l'économie et à favoriser l'innovation technologique a séduit les magnats de la Silicon Valley, qui voient en lui un allié pour étendre leur influence sans entraves réglementaires.

Les "tech bros" : instrumentaliser Trump pour un agenda libertarien

Les leaders technologiques, tels qu'Elon Musk et David Sacks, ont investi massivement dans la campagne de Trump, espérant en retour une politique favorable à leurs intérêts. Leur soutien financier et politique vise à instaurer un environnement où l'innovation prime sur la régulation, alignant ainsi le gouvernement sur une vision libertarienne de la société. Cette stratégie leur permet de façonner les politiques publiques en faveur de la croissance technologique et de la réduction de l'intervention étatique.

Les conservateurs : utiliser Trump et la Silicon Valley pour restaurer l'ordre traditionnel

L'aile conservatrice voit en Trump un véhicule pour rétablir un ordre social conforme à leurs valeurs. En s'alliant avec les magnats de la tech, ils cherchent à utiliser les avancées technologiques pour promouvoir une société plus hiérarchisée et moralement conservatrice. Cette collaboration leur offre une plateforme pour diffuser leurs idées et influencer la culture populaire à travers les technologies émergentes.

Cette alliance entre Trump, les magnats de la tech, les conservateurs et les partisans de théories du complot représente une convergence d'intérêts sans précédent. Chacun y trouve un moyen de réaliser ses objectifs : pouvoir personnel pour Trump, expansion sans entraves pour les "tech bros", restauration de l'ordre moral pour les conservateurs, et validation des croyances pour les complotistes. Cette synergie est en train de provoquer une transformation profonde du paysage politique américain, marquant potentiellement le passage vers un régime plus autoritaire et technocratique.

Cette alliance entre Trump, les magnats de la tech, les conservateurs et les partisans de théories du complot représente une convergence d'intérêts sans précédent.

Le cas Curtis Yarvin

Lire : « Se préparer à l’Empire » : Curtis Yarvin, prophète des Lumières noires

L'architecte intellectuel de cette convergence ?

Au cœur de cette alliance se trouve un personnage troublant, un penseur néoréactionnaire prônant le remplacement de la démocratie libérale par une monarchie technocratique. Ses idées, autrefois marginales, ont gagné en influence parmi les élites technologiques et politiques, proposant une concentration du pouvoir entre les mains d'un leader unique soutenu par une élite éclairée. Cette philosophie offre un cadre idéologique à la coalition formée autour de Trump, justifiant une restructuration radicale du système politique américain.

Ce personnage, c'est Curtis Yarvin !

Curtis Yarvin, alias Mencius Moldbug, promeut une idéologie néo-réactionnaire. Ses idées, influentes dans certains cercles de Trump, reflètent une convergence d'intérêts où chacun pourrait manipuler l'autre pour le pouvoir ou des gains économiques, mais qui manipule qui reste incertain.


L'État Startup

Curtis Yarvin plaide pour une refonte complète du système politique américain, en remplaçant la démocratie par une structure monarchique ou corporative dirigée par un leader unique, inspirée des modèles de gouvernance d'entreprise. Ses idées, bien que controversées, gagnent en influence dans certains cercles conservateurs et technologiques, alimentant un débat sur l'avenir de la démocratie aux États-Unis.

Il propose de remplacer la démocratie actuelle par une monarchie ou une direction nationale similaire à celle d'un PDG d'entreprise. Selon lui, la démocratie est inefficace et faible, incapable de répondre aux véritables besoins des citoyens. Il cite des exemples historiques tels que Franklin D. Roosevelt, qu'il considère avoir exercé un pouvoir proche de celui d'un dictateur pour mettre en œuvre le New Deal, gérant le gouvernement fédéral comme une entreprise.

Yarvin suggère que des figures historiques américaines comme George Washington, Abraham Lincoln et FDR ont agi en tant que "PDG nationaux", dirigeant le pays de manière verticale et centralisée. Il critique la démocratie pour sa faiblesse, illustrée selon lui par la persistance de politiques impopulaires malgré l'opposition majoritaire, et propose que les décisions politiques soient prises par des experts éclairés plutôt que par des processus démocratiques traditionnels.

Son influence sur les tech bros

Ses idées ont trouvé un écho auprès de certaines personnalités influentes des milieux conservateurs et libertariens de la Silicon Valley. Des figures telles que Marc Andreessen et Peter Thiel ont montré de l'intérêt pour ses propositions. Yarvin souligne que, bien qu'il soit un intellectuel en marge, ses idées circulent principalement via des collaborateurs et de jeunes individus engagés en ligne, contribuant à une remise en question des structures démocratiques actuelles.

Parmi ses propositions radicales, Yarvin remet en cause le droit de vote, estimant que la démocratie n'est pas le meilleur système de gouvernance. Il envisage une vision "start-up" de l'État, où le gouvernement serait dirigé comme une entreprise avec une hiérarchie claire et une prise de décision centralisée. Cette perspective suscite à la fois curiosité et inquiétude, car elle remet en question les fondements mêmes de la démocratie américaine et propose une concentration du pouvoir qui pourrait mener à des dérives autoritaires.

Au cœur de cette alliance se trouve un personnage troublant, un penseur néoréactionnaire prônant le remplacement de la démocratie libérale par une monarchie technocratique. Ses idées, autrefois marginales, ont gagné en influence parmi les élites technologiques et politiques... Ce personnage, c'est Curtis Yarvin !

Implications pour la France ?

Pour comprendre comment cette dynamique pourrait affecter la France il faut se plonger dnas un court ouvrage que j’évoquais en introduction : le tract intitulé « La "Révolution nationale" en 100 jours, et comment l'éviter ». Pierre-Yves Bocquet y analyse le projet du Rassemblement National (RN) visant à transformer rapidement la France en une démocratie illibérale, xénophobe et autoritaire. L'auteur détaille les mécanismes constitutionnels et politiques que le RN pourrait utiliser pour instaurer la « priorité nationale » et propose des mesures institutionnelles pour contrer ce scénario.


Un scénario de transformation rapide

Pierre-Yves Bocquet décrit comment, en moins de cent jours, un gouvernement dirigé par le RN pourrait métamorphoser la France. Cette transformation s'appuierait sur des consultations populaires répétées, notamment un « référendum sur l'immigration » promis dès la victoire présidentielle. Ce référendum viserait à inscrire la « priorité nationale » dans la Constitution, accordant des droits préférentiels aux citoyens français par rapport aux étrangers. L'auteur souligne que cette démarche pourrait se dérouler sans recours à la violence, en utilisant les outils démocratiques existants pour légitimer des changements profonds. En contournant les procédures parlementaires traditionnelles, le RN pourrait ainsi imposer sa vision en un temps record, transformant la République en un régime autoritaire et xénophobe.

Une révision constitutionnelle majeure

Le projet du RN prévoit une révision touchant de nombreux articles de la Constitution. L'une des modifications centrales consisterait à inverser la hiérarchie des normes entre le droit interne et le droit international, plaçant la Constitution française au-dessus de tout engagement international. Cette modification limiterait les recours aux juridictions internationales pour la protection des droits fondamentaux. Les normes internationales visées incluent la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), les pactes internationaux relatifs aux droits civils, politiques, économiques et sociaux, la Convention relative aux droits de l'enfant, la Convention de Genève sur les réfugiés et la Charte sociale européenne.

Ces modifications pourraient affecter des droits fondamentaux tels que l'interdiction de la peine de mort, le droit à un procès équitable, la liberté de conscience et l'interdiction de la discrimination. En introduisant des articles comme le 2-1 (concernant la nationalité et la suppression du droit du sol), le 3-1 (définissant la « communauté nationale » et limitant les politiques anti-discrimination) et le 4-1 (portant sur les droits des étrangers et la protection de « l'identité et de la sécurité du peuple français »), le RN entend remodeler en profondeur le cadre juridique français.

Appel à une réponse institutionnelle

Pour contrer ce scénario, Pierre-Yves Bocquet suggère une modification de la Constitution afin de préciser que toute révision doit obligatoirement passer par la procédure de l'article 89, empêchant ainsi l'utilisation détournée de l'article 11 pour des référendums constitutionnels. Cette initiative nécessiterait l'accord des principales figures institutionnelles, dont le Premier ministre, le président de la République, et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. L'auteur appelle à un sursaut collectif, transcendant les clivages politiques, pour préserver les fondements séculaires de la démocratie française. Il insiste sur l'importance d'une vigilance citoyenne accrue et d'un engagement actif pour défendre les valeurs républicaines face aux menaces d'une dérive autoritaire.


Pierre-Yves Bocquet décrit comment, en moins de cent jours, un gouvernement dirigé par le RN pourrait métamorphoser la France. Cette transformation s'appuierait sur des consultations populaires répétées, notamment un « référendum sur l'immigration »

Conclusion : Résister à l'autoritarisme technologique

Face à cette alliance inédite entre pouvoir politique, titans technologiques et idéologies anti-démocratiques, quelles défenses pouvons-nous ériger ? L'Histoire nous rappelle que les démocraties s'effondrent rarement dans le fracas d'un coup d'État, mais plutôt dans le silence complice des abandons successifs et des renoncements discrets.

Notre vigilance doit d'abord s'exercer à l'échelle nationale. En France, la priorité immédiate consiste à empêcher le scénario décrit par Pierre-Yves Bocquet : l'avènement d'un régime illibéral dès 2027. Les garde-fous constitutionnels qu'il propose méritent une attention urgente.

Mais la menace dépasse largement nos frontières. La résistance à l'autoritarisme technologique pose un défi d'une complexité inédite, car elle se situe au carrefour de forces convergeant dangereusement : la puissance financière des magnats de la tech, l'influence politique grandissante des idéologies extrêmes, la domination technologique des plateformes et le contrôle croissant des médias.

Sur ce terrain, les réponses traditionnelles semblent insuffisantes et les solutions claires nous échappent encore. La dynamique autoritaire s'accélère, tandis que notre capacité collective à y répondre semble s'éroder. Ce déséquilibre représente peut-être le plus grand défi démocratique de notre génération.

Le plus grand défi démocratique de notre génération.

Michel Levy provençal